le vent nous portera

Aujourd'hui était un jour à aller à la plage. Il faisait beau, un beau temps d'automne, et je n'avais guère envie de rester enfermée. L'inspiration me fuyait, laissant des pages désespérément blanches que je détestais contempler. J'attrapai un blouson avant de quitter la maison. Le soleil brillait, réchauffant l'atmosphère, mais un vent froid soufflait, comme résolu à gâcher l'ambiance. Pour un peu, je me serais emmitouflée dans une écharpe. Prenant finalement mon courage à deux mains, j'ai laissé le vent me guider jusqu'à la plage. Elle était presque déserte, le vent frais avait dû faire fuir les personnes susceptibles d'apprécier la plage mais quelques badauds y demeuraient quand même, indifférents à la fraicheur de l'air. Quelqu'un avait même amené un parasol - on ne pouvait pas le rater avec ses rayures bicolores, violettes et jaunes - ce qui était pour le moins inutile. Mais c'est précisément ce que les gens aiment, l'inutilité. J'ôtai mes chaussures, m'assis dans le sable et me tournai vers la mer. J'avais toujours beaucoup aimé cette immensité bleue qui semblait n'avoir ni début ni fin. Ici, je me sentais presque à l'abri. A l'abri du monde, à l'abri de la dégradation de ma relation avec Max, à l'abri de tout le mal du monde. Mais à l'abri est un bien grand mot car un coup de vent un peu trop fort s'en prit au parasol et à force de le malmener, il l'arracha du sable et l'entraina avec lui dans son ballet complexe. Et cela avait beau être plutôt joli à regarder, c'était aussi dangereux. Sait-on jamais, quelqu'un qui ne l'aurait pas vu, pouvait être blessé par un parasol de cette envergure. Si bien que je décidai de courir après pour le récupérer et me précipitai à sa suite. Essayez de courir sur du sable, vous verrez qu'il y a plus facile. D'autant que le propriétaire irresponsable de ce parasol ne semblait être nulle part. Je réussis enfin à rattraper le parasol mais au moment de l'attraper, le vent le souleva et je me retrouvai nez à nez avec deux personnes qui avaient manifestement eu la même idée que moi. Le fait est que, déséquilibrés, nous finissons tous les trois par nous rentrer dedans.

Etendu sur la plage, la capuche repliée contre l’arrière de sa tête pour ne pas que quelques malencontreux grains de sable s’immisce dans sa précieuse chevelure, Tobias regarde les nuages passer, l’esprit en vogue bien loin de cette ville où se bousculent précarité d’une crise de plus en plus ressentie par ses habitants et panne d’électricité malvenue. Il n’est pas ce genre d’adolescent romanesque qui passe son temps à s’émerveiller et à philosopher devant les miracles de la nature, non. Mais des fois, il aime bien ça, être seul. Se retrouver un peu. Faire le point sur son existence. Parfois, il peut rester plusieurs heures ainsi installé, pensif. À la fin, il en vient toujours à la conclusion qu’il n’est pas grand chose. Un raté. Qui a manqué sa vocation, forcé de renier sa passion et ses rêves d’avenir. Et il se dit même que s’il avait pu mener une carrière de grand sportif, il n’en serait pas là. À ne jurer que par les soirées où il finit mort à en avoir la gueule de bois le lendemain. À ne faire qu’enchaîner une à une les simples conquêtes d’un soir, fuyant les relations sérieuses comme la peste. À rechercher de nouvelles expériences déjantées, juste pour se sentir un peu vivant. Sensation qu’il n’avait qu’une balle entre les mains, pris dans l’euphorie d’une course folle jusqu’au but. Et il se dit… qu’il n’est qu’un trouillard. Il a peur de s’attacher, alors il se contente d’exister de façon… superficielle. C’est ça, sa solution de facilité. Mais même en en étant vaguement conscient, les rares journées où il s’adonne à ce genre de réflexion, il sait aussi qu’il ne fera rien pour changer ça. Maintenant, sa vie n’est plus qu’un compteur qui tourne à chaque petit plaisir de plus, et le but est d’en accumuler le plus possible. Même si c’est vain, si ça sert à rien d’autre qu’à faire passer le temps. Finalement, Tobias, il est devenu hédoniste. Et il ne croit à rien d’autre qu’à ça.

Il en est là de ses réflexion lorsque un motif de rayures violettes et jaunes vient remplacer le gris-bleu du ciel d’automne. Il sursaute et se redresse, le temps de réaliser que le mystérieux ovni est en réalité un parasol avec lequel le vent s’amuse, hasardeusement. Son réflexe est alors de se lever et de courir après l’ombrelle. Seulement, dans l’agitation, il n’a pas vu que deux jeunes femmes ont eu le même automatisme, et ce n’est que lorsqu’il entre en collision avec leurs deux corps agités qu’il s’en rend compte, alors qu’il se sent atterrir les fesses les premières dans le sable. Au dessus de lui, le parasol s’envole, toujours au gré du vent froid qui semble les narguer tous les trois. Tobias se sent soudain très bête. Il ne sait même pas ce qu’il lui a pris d’essayer de rattraper ce foutu machin, hideux de surcroît, et c’est en ralant qu’il se relève, constatant que l’une des deux femmes, une rousse, est également tombée sous le choc. Il lui tend alors une main pour l’aider à se relever, l’air toujours étourdi.

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