Assise sur cette chaise en terrasse de ce petit café pourtant très fréquenté, je commençais à me demander si venir ici n'était pas une grossière erreur. J'étais - par je-ne-sais-quel-miracle - arrivée avec dix minutes d'avance et depuis, je ne cessais de me triturer les méninges. Tout ça ne mènerait sans doute à rien de bon, car après tout, retrouver une vieille amie n'avait pas toujours les effets désirés. Ils étaient parfois même néfastes. Or, je craignais que dans mon cas, la situation soit semblable à celle que je craignais le plus, c'est-à-dire, me rendre compte au beau milieu de notre rendez-vous que cette amie avait réussi, qu'elle avait une carrière, un bel appart, que le succès la poursuivait quand j'étais absolument tout l'inverse. Et la dernière chose que je souhaitais, c'était attirer la pitié sur moi, parce que c'est ce qui se passait inévitablement. Je n'avais pas besoin qu'on me dise que je ne faisais pas le nécessaire pour pouvoir danser à nouveau, ni même que l'on s'inquiétait pour moi. Mais pas cette fois, je ne laisserai rien de tout ça arriver. Il me suffisait de faire bonne figure pendant une heure peut-être deux, et tout serait enfin terminé. Commandant au serveur qui passait de quoi me rafraîchir, je remarquais non sans un soupir d'agacement que la silhouette qui s'installait à ma table était loin celle d'être à laquelle je m'attendais. Non seulement parce qu'elle n'avait ni boucles blondes, et encore moins de talons hauts. Ne faisant aucun effort pour cacher ma déception, je lançais simplement. « Qu'est-ce que tu fais là, Tigra ? » Un nom comme celui-ci devait certainement attirer toutes les couguars du coin, en plus de toutes les filles sans cervelles qui devaient déjà crouler à ses pieds. « C'est dommage que tu ne puisses pas rester, mon amie est sur le point d'arriver. » Par contre, je ne pus retenir un sourire ravi.

« Aoutch, ça fait mal ! Depuis quand tu n'as plus contente de me voir? » A la minute où il prononce ces mots, je comprends que je suis foutue. Bien sûr que non, il ne lâchera pas l'affaire, c'est tellement pas son genre. Son genre à lui, c'est plutôt de me faire chier pendant des heures, jusqu'à ce que finalement il se lasse et s'en aille. Et moi, je comprends pas pourquoi je suis là, à le laisser faire à moitié, attendant qu'il pourrisse ma journée encore et encore. Peut-être que je suis trop conne, ou bien simplement trop naïve. Peut-être qu'à force de torture, sa présence ne me paraît plus si désagréable qu'avant... Bien qu'elle soit toujours aussi horripilante à mon goût. Mais c'est déjà trop tard, il a pris ses marques sur la chaise en face de moi, s'amuse à me mettre hors de moi avec sa foutue cigarette. « Je partirai bien, mais ton amie sera sans doute ravie de me rencontrer, j'espère que tu lui a parlé de moi. » Je lui enverrais bien sa cigarette où je pense, et pourtant, je me retiens par je ne sais quel miracle. Certainement parce que je sais qu'il n'attend que ça. Je sais que ça égaie ses misérables de journées de foutre la mienne en l'air. Grand bien lui fasse, je ne lui ferais pas ce plaisir. A la place, j'attrape sa cigarette, je tire une fois dessus, peut-être deux avant de l'écraser dans le cendrier. Je secoue la tête rapidement à la suite de sa remarque en fronçant le nez. On ne peut pas dire que j'ai l'habitude de fumer, non, disons plutôt qu'il m'arrive de craquer en état de stress intense - ou quand mes nerfs avaient raison de moi -, un peu comme dans cette situation, quoi. « Hm, c'est pas vraiment ton type. Elle quelque chose que tu connais probablement pas... Qu'est-ce que c'est déjà ? Ah oui, la dignité. » Grand sourire railleur. S'il y a bien une chose que je désirais éviter, c'était bien que mes amies rencontrent Tigra. L'homme était déjà une honte pour lui même, je ne voulais pas qu'il en devienne une pour moi. Autant me dire que j'avais décidé de marier un pingouin, que j'avais dansé nue sur les tables ou encore que j'avais fini par trouver quelque chose de bien en Tigra. Aussi improbable qu'irréaliste, en d'autres mots.

« Devrais-je te dire que fumer est nocif pour la santé ? » Je laisse échapper un rire nerveux. « C'est pas ce qui me tueras, crois-moi. Toi, en revanche... » Je fais planer le doute qu'il puisse être la cause de ma mort imminente même si je suis persuadée qu'une telle idée doit forcément lui plaire. Un tel concentré de répartie et d'emmerdes ne peut qu'être nuisible à ma santé, pas vrai ? C'est pourtant bien ce que je crois dur comme fer. « Andie, ne fait pas ta jalousie comme ça, je ne l'ai même pas encore rencontrée. » Je lève les yeux au ciel, ne cachant plus mon agacement. « Faut pas non plus prendre tes rêves pour des réalités. » A ce stade, je ne suis même plus sur la défensive, c'est carrément de la provocation. Et aussi bien que je déteste qu'il fasse ressortir ce côté de moi, je rentre dans son jeu comme n'importe autre fille qu'il a pu mettre dans son lit pour ne jamais la rappeler. Je ne comprends pas pourquoi certaines filles sont encore assez naïves pour lui céder quoi que ce soit. Peut-être à cause de ce regard qu'il porte sur vous qui change du tout au tout en une seconde, qui vous donne l'impression qu'il vous dévore tout entière. Il faut reconnaître qu'on pourrait aisément se laisser entraîner. Oui, on pourrait. Mais moi, je ne peux pas. Rha, je déteste cet infect abruti. Est-ce qu'il ne comprend toujours pas ? Peut-être qu'il ne veut simplement pas comprendre. Peut-être qu'il se fiche de tout ça, après tout. Moi, je crois qu'il adore ça. Ca doit mettre du piment dans sa misérable et insignifiante petite routine. Ah, Andie, Andie, dans quoi est-ce que tu t'entraînes encore ? C'est justement quand je m'apprête à me pencher sur la question que des pas derrière moi me surprennent. La voilà. Et bien sûr, Tigra, lui, n'a pas l'intention de bouger d'un pouce, je suis sûre qu'il jubile de tout ça. Et merde, c'est foutu. Je me lève, faisant tomber le masque de garce qui s'entend si bien avec la personnalité de Tigra. Je la salue d'une étreinte et d'un sourire, quand vient le moment que je redoute tant, celui des présentations. « Voici Tigra, c'est... Une connaissance. Ne t'embête pas à retenir son prénom, tu n'auras plus l'occasion de t'en servir. Et justement, il s'apprêtait à partir, alors... » Emmerdeur de première aurait peut-être mieux convenu. Tentant un sourire, j'essaie de ne pas passer pour la pétasse du siècle, même si à son habitude, Tigra ne me rend pas la tâche plus facile.

si franchement on est pas parfaite, 300 pour moi, 3333 pour toi