Mon dernier livre venait d’être publié. Du moins, il y a quelques mois. Depuis que j’avais une situation stable dans ma vie, j’avais réussi à écrire et à dessiner un livre de plus de 50 pages comprenant des histoires de princesse et d’ogre, de lutins qui parlent, d’arbres vivants. J’étais une véritable machine lorsque j’étais inspirée. Il m’a fallu plus de huit mois avant de pouvoir l’amener à ma maison d’édition, toute fière. Aujourd’hui, mon manager ou plutôt mon patron m’organisait une séance de dédicace à la bibliothèque de Montsimpa, où un présentoir était réservé à mon nouveau livre « Rêveries pour enfants ». Titre peu original mais le dessin sur la couverture était assez explicite. C’était une princesse qui était agenouillée autour de deux petites créatures étranges que j’avais appelée « sid ». Allez savoir pourquoi. C’était digne de l’imagination d’un écrivain ce genre de chose, et c’était aussi ce qui rendait accros tous les gamins qui apprenaient à lire. J’avais laissé Bonnie à Dexter, le temps que j’aille à ma séance de dédicace. Cela faisait longtemps que je n’avais pas été en contact avec les enfants qui étaient « fans » de mes histoires, et pourtant j’avais fait plusieurs séances de dédicaces dans tous les Etats-Unis. Mais à Montsimpa, c’était tout à fait différent. C’était ma patrie à moi. J’entrais dans la salle déjà pleine d’enfants. J’étais heureuse comme tout. « Bonjour les enfants ! » disais-je, en enlevant mes lunettes de soleil. J’étais célèbre mais je me fichais de ma célébrité. Je n’étais pas le genre de nana à apparaître dans tous les tabloïds. Je me faisais plutôt discrète de ce côté-là. Je suivais le responsable de la bibliothèque, qui m’indiquait la table où j’allais pouvoir m’installer pour signer les livres.

Je savais que l'auteure de livres pour enfants habitait à Montsimpa. Blaine Fawkes. En plus d'être super imaginative, d'écrire de belles histoires à en faire sourire même un adulte, elle était franchement magnifique sur ses photographies-portraits. À mon plus grand malheur, je n'avais jamais eu la chance de la rencontrer. Comme célébrité, elle était plutôt "low-profile", contrairement à certaines autres stars montantes de la ville. Pourtant, je rêvais de pouvoir lui serrer la main et de simplement la féliciter pour son excellent travail. En même temps, je me disais que c'était mieux qu'elle soit une personne terre-à-terre, ainsi, je n'allais pas être confronté à une femme matérialiste et imbue d'elle-même, ce que je détestais chez les autres. Si elle tenait tant à vivre dans l'anonymat, c'était probablement parce qu'elle n'aimait pas ce monde-là non plus. J'espérais que c'était pour cela. Bref, quand j'avais entendu parler de la séance d'autographes et de dédicaces à la bibliothèque de Montsimpa pour son plus récent livre Rêveries pour enfants, je n'avais pas hésité une seule seconde. Ce matin-là, j'avais enfilé un beau pantalon noir avec une chemise et une cravate, et je m'étais présenté à l'endroit indiqué. En entrant, je constatai que la salle principale était bondée d'enfants, et de leurs parents un peu en retrait. J'avalai difficilement alors que mes joues prenaient quelques couleurs. J'avais l'air d'un grand bébé, là. Je ne comprenais pas pourquoi seuls les enfants avaient pointé le bout de leur nez. Mademoiselle Fawkes faisait du bon boulot et il ne fallait pas avoir cinq ans pour s'en rendre compte. Après avoir attendu en ligne pendant une heure - les enfants me dépassaient constamment, je commençais à enrager -, je fus finalement devant elle. Un grand sourire admirateur éclaira mon visage, et mes yeux s'illuminèrent. « Mademoiselle Fawkes c'est ... c'est un honneur de vous rencontrer. » Arrivais-je à articuler malgré un faible bégaiement. Je lui tendis mon exemplaire de son livre. « Pourriez-vous signer mon livre ? C'est ... c'est au nom de Genesis. » Je souriais bêtement.

J’étais entourée de gosses. C’était presque comme si je réalisais mon plus grand rêve. J’aimais les enfants plus que tout, et encore plus depuis que j’avais mis au monde mon petit trésor Bonnie. Je me sentais plus que proche de ces petits êtres encore trop innocents, sans aucune idée sur la réalité de la vie. C’était probablement pour ça, que j’avais choisi ce métier. Je me replongeais en enfance, le temps d’un livre et j’avais une imagination des plus débordantes comme toujours. Impressionnant pour une jeune adulte comme moi qui sortait à peine de l’adolescence. Les parents des gamins étaient auprès d’eux, en ayant presque envie de se barrer. Pourtant, c’était eux qui racontaient les histoires ils étaient bien censés aimer non ? Bref, je me vidais la tête avant de m’installer à la table. Des multitudes de bouquins étaient posés dessus, au cas où certains n’en avaient pas. Bien évidemment, ils étaient payants mais au moins l’autographe était dedans. Je signais quelques livres avant de voir un homme, assez âgé ou du moins plus vieux que moi, gêné visiblement de se tenir devant moi. Je détestais voir les gens mal à l’aise, tout ça parce que j’étais célèbre. J’étais avant tout une personne comme les autres. Je tendais ma main naturellement pour le saluer. Une personne normale, oui. Je lui prenais l’exemplaire du livre des mains pour signer dans le bouquin : Pour Genesis, continuez à rêver, Blaine Fawkes dans un gribouilli. Je me demandais si c’était pour son enfant ou pour lui-même. Les adultes étaient rares à se présenter à ma table. Autant dire que j’étais presque étonnée de le voir devant moi. « C’est pour votre enfant ? » disais-je, en souriant. J’aurai pratiquement pu parié que c’était le contraire.

J'adorais les enfants aussi, même si la plupart du temps, ils m'effrayaient. Ils couraient partout, criaient, pleuraient, faisaient des crises à tout moment. Par contre, dès que je prenais mon courage à deux mains et que j'interagissais avec un gosse, "one on one", tout allait bien. J'étais même persuadé que je ferais un père incroyable. Malheureusement, mon incapacité à vivre en société me faisait payer. Je ne pourrais probablement jamais être père de famille, ni même mari. Pourtant, vivre cette vie était tout ce dont je rêvais. J'étais trop bizarre aux yeux des autres pour seulement le désirer, alors qu'en fait, j'étais comme les autres ... il fallait juste bien vouloir me découvrir pour le savoir. Bref, j'avais laissé les enfants obtenir leurs autographes avant moi, puisque j'étais un adulte et que j'avais plus de patience qu'eux. Quand ce fut mon tour, je serrai la main de Blaine Fawkes avec gêne. Ce n'était pas tant parce qu'elle était une célébrité, mais surtout parce que je l'admirais. Si j'avais rencontré Britney Spears aujourd'hui, je n'aurais pas été aussi angoissé. Je ne l'aimais pas, alors je m'en fichais. Je souris en regardant Mademoiselle Fawkes signer mon livre, que j'avais lu et relu avant d'arriver ici. « C’est pour votre enfant ? » Je pense que j'ai alors rougi comme jamais. Mes joues s'enflammaient. Je secouai la tête. « Non, c'est pour moi. » Je regardai derrière moi et constatai que seulement quelques retardataires étaient encore présents dans la pièce. Les autres enfants avaient tous eux une dédicace et leurs parents les avaient ramenés à la maison. Je me tournai de nouveau vers l'écrivaine. « Je suis un grand admirateur de vos histoires et ce, même si je suis un adulte. » J'avais le droit, il me semble.

Il y avait des adultes, tout comme moi, qui gardaient leurs âmes d’enfants. Souvent parce que ces anciens enfants n’étaient pas heureux dans leurs vies, ou alors parce qu’ils sont tout simplement rêveur. Je rêvais, depuis toute petite, d’une vie meilleure sans délinquance où les gentils gagnaient toujours à la fin. J’étais une grande enfant, et je ne m’en cachais pas puisque j’avais la fierté d’en avoir fait mon métier. Mon atelier était rempli de dessins que je faisais lorsque j’étais plus jeune. Du plus moche au plus beau, bien évidemment et je gardais chacun des croquis. Des souvenirs du début de ma passion et de ma carrière qui grandissait de jours en jours. Je n’étais pas plus étonnée que ça lorsque Genesis m’annonçait que c’était pour lui. Il y avait des adultes qui aimaient garder leur part d’enfant dans un recoin de leur tête. Son rougissement me touchait. C’était agréable de voir que mes histoires plaisaient autant aux petits qu’aux grands. « Eh bien, vous m’en voyez ravie ! Peut-être que je devrais adapter ça aux adultes qui sait ! » C’était un terrain tout à fait envisageable. Il n’y avait plus grand monde donc je pouvais prendre quelques minutes pour discuter avec ce fan. J’étais bien évidemment tout le contraire d’une célébrité qui cherchait à tout prix de se cacher des paparazzis et signer des autographes à la chaîne sans même prendre le temps de discuter. « Amateur de livres alors si je comprends bien ? » disais-je, en terminant par un sourire.