Ses mains recouvertes de peinture viennent encercler les frêles épaules de Tristan et ses yeux rouges se plongent dans les siens. Paniqué, Tristan n'a aucune idée de ce qu'il fait là, à regarder ce talentueux toxicomane essayer de lui expliquer de manière totalement abstraite la manière de faire ressortir toute cette imagination qu'il refoule. A l'heure qu'il est, il n'a rien plus rien à perdre. Son départ de Montsimpa a été rapide. Imprévu. Douloureux, aussi. Mais il n'en pouvait plus de vivre cette vie qui ne lui correspondait pas. Cette vie dans laquelle tout était calme et ordonné. Il voulait bouger, changer, faire ce dont il avait envie. Savourer une vie dans laquelle il vivait de son art. Oui, il voulait tout ça, peu importe les sacrifices et ce qu'il allait devoir laisser derrière lui. Depuis une semaine, il enchainait les nuits blanches, un crayon à la main. Celui qui allait désormais être son maître le regardait en silence, analysant chaque parcelle de son visage. Jour et nuit, Tristan passait ses journées à crayonner des esquisses de choses totalement improbables sous l'œil acéré du vieille homme. Jusqu'au jour où il avait attrapé ses épaules, brusquement. « Qu'est-c'qui t'manque d'puis que t'es là, garçon ? » La question était simple. Tout lui manquait. Sa colocataire lui manquait, marcher dans Montsimpa lui manquait, s'engueuler avec son père lui manquait. Ses ballades en vespa, ses éclats de rires avec ses amis. Il lui énuméra chaque chose en silence, le visage sérieux. Tout ce flot de souvenirs difficiles qui revenaient embrouiller son cœur un peu plus. Une fois la discussion finie, le calme reprit sa place dans l'atelier obscure. Jusqu'au rire. Totalement déplacé, inattendu de la part du vieille homme. Tristan ne cherchait pas à comprendre. Après tout, le vieux était étrange et essayer d'analyser son comportement était une perte de temps. Doucement, le brun posa son crayon et resta les yeux fixés sur l'hilare, attendant le moment où le calme allait revenir et que les explications allaient tomber. Le maître essuya quelques larmes qui perlaient le long de ses yeux et s'approcha. « Mon garçon, s'bien beau tout ce que tu m'as dit sur ce qui te manquais, mais si t'es pas une tafiole, si t'aime les filles, comment t'peux dire que la baise t'manque pas ? C'est ça la solution, faut qu'tu goûtes à ces plaisirs. Les filles ont un don, crois moi. Si ça marche pas, j'peux rien faire pour toi. » C'était au tour de Tristan d'éclater d'un rire franc. Toutes ces semaines, loin de tout ceux qu'il aimait pour arriver à une conclusion aussi stupide qu'improbable. La tristesse qu'il ressentait depuis quelques jours c'était transformée en une haine qu'il n'arrivait pas à maîtriser. Il le prenait pour qui ? Un branleur incapable de se faire des filles ? Les poings serrés, il tourna les talons et claqua la porte de l'atelier. Pour lui prouver que ça ne marchait pas, fallait bien essayer, non ? Et si il avait raison, et bien, il avait de quoi faire pour la soirée.