Le temps avait beau nous avoir piégés, nous demeurions jeunes, et patients ainsi qu'investi du savoir que, quoiqu'il advienne, nos chemins sont faits de telle sorte qu'ils se croiseront encore et toujours. Cela faisait quelques temps que nous communiquions par l'intermédiaire d'internet, mais nous n'avions pas eu la chance de nous revoir face à face. Quelque chose que je redoutais, autant que cela m'excitait. Notre relation avait été si vive, passionnelle et glaciale en même temps qu'elle avait été digne d'un rêve de schizophrène. Pourtant, nous étions là, à une table, l'un en face de l'autre depuis deux secondes à peine. Comment se saluer ? Comment se parler ? Je n'étais sur de rien mais j'avais le désir ardent de lui reparler, de la côtoyer à nouveau. Tu as toujours la même bouille, Okay. lui dis-je en regardant ses traits, puis ses cheveux, tout en prononçant ce surnom que j'adorai lui répéter. Nous devions surement avoir l'air bête à ne pas savoir quoi dire, quoi faire. Surement les pires retrouvailles quand on sait le fossé qui s'est creusé durant nos années de séparation. Et cette histoire de bébé. Mes yeux se posèrent immédiatement sur son ventre, mais je ne pouvais le voir étant dissimulé par la table. Je soupirai alors avec la ferme intention de m'expliquer, peut-être de m'excuser puisque je ne l'avais pas fait jusqu'à lors. Avais-je brisé sa vie ? Elle ne l'avait jamais sous-entendu, ni rien, et pourtant, j'avais cette légère et si subtile angoisse que la vie de misère qu'elle avait vécu avait été accentué par cet incident. Qu'elle était bien plus mal-en-point que moi après cette terrible expérience qu'aucune femme ne veut connaître. Comme deux tranches de jambon posées l'une sur l'autre, collées serrées en attendant de pourrir, nous étions deux bêtes folles qui s'amusaient à se chevaucher comme deux objets libérés de toute conscience, de toute moral. Le garçon immature que j'avais été avait pris sur lui. J'avais bien pris sur moi, en effet. Et la présence permanente de mon frère jumeau me rappelait qu'à cette époque, nous n'avons pas été proche, que Oakley était plus à mes côtés que lui. Sous des airs d'ange, j'étais un noctambule maladif que seul l'adoption réussit à calmer. Cette période avait été si confuse, si magique et horrible à la fois que les souvenirs qu'elle me laisse sont de l'ordre d'un cauchemar masochiste. Un rêve troublant dont la moindre douleur m'apportait un semblant de bonheur.