Tout est vide. Mes pensées. Mon enveloppe corporelle. Même les placards. Y'a plus rien à bouffer. Il reste que de la bière, et des paquets de clopes. Peut-être que Siam s'en est rendue compte. Et peut-être qu'elle est allée acheter quelques trucs. Ou peut-être qu'elle s'est juste barrée, comme d'habitude. Ça fait deux semaines qu'elle est de retour. Deux semaines qu'on s'engueule tous les jours. Alors au final, ça fait du bien un peu d'vide. Ça fait du bien de ne plus voir son visage de poupée. Je n'ai plus l'impression d'être son pantin. Parce que c'est ce que je suis quand elle est là. Un pantin. Elle tire les ficelles en esquissant des sourires sans âmes. Et moi j'crois en ces sourires comme s'ils voulaient dire quelque chose. Comme s'ils démontraient l'existence d'un peu de joie, au moins un peu. Mais ils sont vides. Vide comme notre histoire. On a beau crié, tout c'qui nous revient n'est qu'un écho. Un écho qu'a rebondi sur les parois du vide, mais qui n'a rien touché. Ni elle, ni moi. Car nos disputes ne me touchent plus. Elles sont si fréquentes que je ne les remarque même plus. Les seules choses qui me touchent, ce sont ses sourires, ses mots sans haine, ces instants où j'ai l'impression qu'elle est heureuse, même si je sais que ce n'est qu'une impression. Ils sont rares c'est vrai, mais je les vois toujours. Ils sont comme les petits défauts que personne ne remarque dans les films. Le micro qui apparait dans le champ de la caméra, où la mouche parasite en arrière plan. Je les remarque, parce que je les guette toute la journée. Je les attends comme on attend Noël.

Tout est vide. Mes yeux sont vides. Ils regardent par la fenêtre mais ne voient rien. Pourtant y'a du monde qui bouge là en bas. Mais je ne les vois pas. Jusqu'à ce qu'elle apparaisse, enfin. Elle n'est pas encore vraiment là, mais elle emplit déjà l'espace vide qui m'oppresse. Je me précipite contre la porte, et y colle mon oreille. J'attends le code. Notre code. Trois coups, puis deux. Ce n'était pas un mirage, c'était bien elle. J'ouvre la porte, et je me sens déjà mieux. Les antibiotiques ne sont peut-être pas automatiques, mais avec May, c'est automatique. Je crois que je ne suis même pas content non, j'suis heureux. May est la plage sur laquelle mon épave s'est échouée. J'enroule un bras autour de sa taille tandis qu'elle dépose deux bisous sur mes joues. Et je la vois sortir un paquet de pâtes de son sac. Je sais qu'elles seront dégueulasses, comme à chaque fois. Mais ça m'est égal, je les aime quand même ses pâtes. Même mal cuites. Je sors les deux bières qu'il reste au frigo, et je m'installe sur le tapis du salon. Je l'attends à peine, puisqu'elle coupe le feu avant même que l'eau ait eu le temps de bouillir. Ça m'fait sourire d'ailleurs. Parce qu'elle est comme moi. Elle n'a pas la patience d'attendre que ça cuise. J'attrape mon bol, et lui tends sa bière, puis elle pose son dos contre le mien en silence. Je l'entends allumer une cigarette, puis je l'entends inspirer. À mon tour. J'attrape sa cigarette, et en tire une bouffée. Puis j'avale une fourchette de pâtes. "Dégueulasses." J'ai l'impression de mâcher du caoutchouc. Alors j'arrête de mâcher, et j'avale tout rond. Je pose ma tête contre la sienne, qui est elle même posée sur mon épaule. "Ça fait du bien tu sais, d'te retrouver. J'sais même pas si je tiendrais encore debout si tu n'étais pas là. T'es un peu ma béquille May." On a pas vraiment besoin de parler d'habitude. De se dire ce qu'on a sur le coeur. Parce qu'on se comprend en un regard. Mais j'avais besoin qu'elle l'entende. La vie est courte, et j'trouverais dommage de ne pas avoir le temps de lui dire toutes ces choses que je ne lui ai jamais dites.