Il est tard, lorsque je rentre du boulot et je suis exténuée. Malgré, Sasha n'est toujours pas rentré de son boulot. Il sait que pourtant nous sommes attendus à un dîner dans peu de temps. Je file enfiler quelque chose de plus habillé, tandis que j'entends les clés tourner dans la serrure. Et puis rien, pas un mot. Juste quelques bruits dans la cuisine. Je soupire et déglutis, je me demande quand est-ce qu'on a bien pu en arriver là. Je me dirige vers la cuisine tout en tâchant de fermer la fermeture éclair de ma robe avant de tenter un faible sourire. Je l'embrasse tendrement sur la joue, mais comme d'habitude, je n'ai pas réellement de réponse. « Tu es prêt ? On va être en retard. » Je tente doucement pour répondre à son regard interrogateur. « Je ne peux pas venir, j'ai un empêchement. » Ce n'est pas comme si je l'avais senti venir. « C'est une blague ? » « Pas du tout. » Il répond presque au tac-au-tac, pourtant ça ne l'empêche pas d'attraper une bière dans le frigo et de se poser devant la télé. Comment on en est arrivé là ? A ne plus de parler, à ne même plus se regarder dans les yeux. Il n'y a pas si longtemps, tout allait encore si bien entre nous. Qu'est-ce qui a bien pu se passer pour qu'on tombe aussi bas ? Moi qui pensais qu'on étais unis, que rien ne pourrait nous séparer. Je connais Sasha sur le bout des doigts, si bien que je sais que son état ne date pas d'aujourd'hui. Je sais qu'il se sent terriblement coupable, qu'il rejette la faute sur lui. Seulement, il n'en parle pas. C'est bien ça le problème, il ne me parle plus de rien, et je crois que jamais dans toute ma vie, je me suis sentie aussi impuissante. Pas même quand mon frère est mort, pas même quand ma mère s'est réfugiée dans les somnifères. « J'en ai plus qu'assez de me pointer aux dîners toute seule, Sasha. » Il concentre son regard sur sa bière, je sais qu'au fond ce n'est pas ce qu'il veut. « Il suffit d'annuler. » Il dit ça avec tellement de naturel que je ne sais même pas quoi répondre. Je déglutis difficilement et ne retiens plus les larmes qui menacent, que j'essuie rageusement d'un revers de main, comme toujours depuis ces dernières semaines. « Tu sais, je ne vais pas rester là à attendre bien gentiment que tu redeviennes celui que tu étais. » Je marque une pause, je sais que de toute façon, rien de ce que je dira ne le fera réagir. « Un jour tu rentreras et je ne serai plus là. » Même si l'idée m'en détruit les entrailles, il fallait que ça sorte, que ce soit dit. Parce que ça ne peut pas continuer comme ça, parce que je ne peux pas regarder celui que j'aime se détruire à petit feu. Parce que je ne veux pas vivre dans les souvenirs de ce que nous étions dans l'espoir qu'il redevienne celui qu'il était. « Je sais. » Et même si cette coquille s'apparente vide, je sais qu'au fond, il est toujours là. Quelque part, bien caché, mais toujours là. Alors c'est tout ce que j'obtiendrai de lui ce soir ? Parfait. Absolument parfait. « T'es vraiment trop con. » Soufflais-je avant de partir m'enfermer dans la chambre de notre appartement. Mais je sais que ça aussi, il le sait.