Je ne sais pas si mon enfance peut être qualifiée de belle ou joyeuse. Disons que je ne manquais de rien, mis à part de la présence d'une mère. "Elle est partie au ciel quand tu es sortie de son ventre" m'avait expliqué mon père lorsque je n'étais qu'une petite fille. Plus jamais nous n'en avions reparlé. Il voulait que je le sujet soit clos, que la discussion soit bouclée à jamais. Et ce fût le cas. Il est vrai qu'à six ans seulement on ne comprend pas tout de ce qui se passe autour de nous, mais ces paroles-la, sachez que je les assimilées tout de suite. Inconsciemment j'ai développé cette capacité de tout garder au fin fond de moi-même. Les sentiments que j'éprouvais, ce besoin que je ressentais d'appeler "maman !" la nuit quand j'avais peur ont été bannis du nid familial, et j'ai été habituée comme cela. À l'école, j'ai toujours été le vilain petit canard, le garçon manqué qui ne trainait qu'avec des garçons justement. Lors de ma rentrée en 6e, des filles sont devenues mes sois-disantes amies simplement parce que j'étais blindée de fric. La mentalité féminine m'a dégoûté au reste. J'avais décidé de m'en tenir à mes amitiés avec les mecs. J'étais fille unique en plus de cela, pas de grande ou petite soeur avec qui partager mes secrets ou à qui demander des conseils typiquement féminins. Je n'avais personne pour ça, pas une seule fille sur laquelle compter. Pas de mère. Juste un père qui travaillait beaucoup et qui, malgré ça, faisait tout pour m'éduquer comme il le pouvait.

J'ai déménagé pendant les vacances d'été, juste après la fin de ma classe de 4e. Inutile de préciser que les mentalités masculines en troisième sont des plus déplorables pour certains. Eh bien, moi, c'était avec ce genre de personnes que je passais tout mon temps. J'étais la "meuf" de la bande, ou "la blonde" comme ils avaient l'habitude de m'appeler. Mes résultats scolaires ont radicalement chuté, et mon père a vu mon caractère s'endurcir de plus en plus. Du moins, en surface. Je ne savais plus que me montrer désagréable, capricieuse et rebelle contre tout. Cela dit, la fragilité et la sensibilité qui rongeaient mon coeur n'avaient pas bougé. Je souffrais encore et toujours de cette absence maternelle que personne n'a jamais su combler. Pas même ma belle-mère, cette femme idiote que j'ai toujours détesté. C'était réciproque, d'ailleurs. Et vous savez quoi ? Je crois que c'est elle qui m'a carrément poussée au fond du gouffre. Je me suis mise à fumer des joints sans arrêt avec ma bande de potes, je sortais, je séchais bien de trop, je ne bossais plus. Je rentrais chez moi totalement déchirée après des soirées à 6h du matin. Ma jeunesse partait en vrille, je ne me reconnaissais même plus dans le miroir. Mais où étais passée la jeune et jolie Everleigh, celle qui se respectait et qui avait toujours le sourire quoiqu'il arrive ? Pourquoi faisais-je tout ça ? Pourquoi, pourquoi, pourquoi. Des milliers de questions se bousculaient dans ma tête. Les jours se répétaient continuellement, j'enfilais mon jogging, je prenais mon portable, mon paquet de clope, mes écouteurs, et je sortais. Je sortais parfois même sans revenir chez moi de la journée, je restais avec eux, mes échappatoirs, ceux en qui je croyais le plus à ce moment-là. Et tout ça a duré deux ans. Mon père a voulu une fois de plus déménagé, à Montsimpa cette fois. Je savais pertinemment que je ne reverrais peut-être plus jamais mes amis, que je serais seule. Totalement seule. J'en souffrais intérieurement, mais je ne disais rien, je me trompais peut-être après tout. Je suis entrée en première Littéraire, non pas grâce à mes résultats scolaires, oh non. Mais mon père est richissime, je vous rappelle. J'étais la petite nouvelle dans un lycée paumé à côté de la ville, je ne connaissais personne, personne ne me connaissait. Le jour de la rentrée les élèves me regardaient très bizarrement. Mon style les dérangeait sûrement. Voir une blonde avec des seins s'habiller de façon masculine les choquait ? De toute façon, je les emmerdais tous. J'étais relativement calme mais dans ma tête je les avait tous déjà tués dix fois. Une ou deux semaines plus tard, une fille de mon âge est quand même venue m'adresser la parole. Je voyais bien que cela faisait quelques jours qu'elle cogitait, hésitait. Je l'ai reçu avec une froideur extrême, l'envie de parler à personne s'était radicalement emparée de moi. Disons que les comportements des gens inscrits dans ce bahut n'arrangeaient pas la chose. Mais cette fille a persisté, elle n'a jamais lâché l'affaire. Elle voulait réellement m'aider à m'intégrer, à ce que je me fasse des amis. Je lui ai répondu que mes amis n'étaient plus là, et elle m'a dit que dans la vie il faut toujours aller de l'avant, même si c'est dur. À partir de ce moment-là, j'ai eu l'impression que cette fille venait de me redonner espoir.

Aujourd'hui, je suis étudiante en communication. Plus tard, je souhaite exercer le métier d'attachée de presse. Le hip-hop et danse de rue ont pourtant toujours hanté mon esprit, mais mon père n'était malheureusement pas de cet avis. J'étais bonne pourtant. On me l'a souvent dit. Le changement le plus choquant je pense, est que je suis devenue une fille à part entière. Maquillage, coiffures, vêtements, bref, tout y est passé. Cela dit, je n'oublierais certainement jamais mon adolescence et tout ce que j'ai traversé. Mais je n'ai jamais perdu le goût de la fête... même si je me suis relativement calmée.