Aujourd'hui, ce n'est pas un bon jour. Je le sais, c'est tout. Je le sens. Il n'y a plus vraiment de bon, jour, de toute façon. Pas quand toutes nos journées ressemblent à ça. Pas quand il n'y a que nous, debout dans le salon, à se hurler les mots les plus cruels, à chercher le moindre prétexte pour accuser l'autre, à se jeter les vases de fleurs au visage. Un peu comme ce soir, où je rentre plus tard que d'habitude. Et évidemment, toi, tu trouves quelque chose à y redire. « T'étais où, bordel ? » D'ailleurs, tu n'attends même pas que j'ai refermé la porte de l'appartement pour m'incendier. « Nul part. » Je déteste quand t'es comme ça. Quand tu me prends la tête parce que je rentre trop tard, alors que toi comme bien souvent tu t'es pas gêné pour vider la bouteille. Long soupir. « J'étais avec des amis, j'ai pas vu l'heure passer. Je suis désolée, d'accord ? » Étonnamment, ça ne te suffit pas. Il t'en faut plus, toujours plus. Parce que tu ne t'arrêteras pas avant d'avoir tout foutu en l'air, pas vrai ? « Prends-moi pour un con aussi. Tu foutais quoi, putain ? Ce soir c'était juste un verre, demain tu me feras cocu avec la moitié de la ville, hein ? » « Va te faire voir. Je peux plus sortir, maintenant ? Toi tu peux bien te bourrer la gueule, pourtant. » « Ta gueule. » Je stoppe toute action, me retourne brusquement. « Quoi ? » « Je t’ai dit de la fermer. » « Je sais ce que t’as dit ! » Et voilà, t’as réussi. Tu me mets hors de moi, comme à chaque fois. Cette fois s’en est trop, je vais dans la chambre, prends quelques affaires au hasard que je fourre rapidement dans le premier sac venu. « Tu fais quoi là ? » « Je me tire d’ici. » Mais toi, t’es pas du même avis, et bientôt, on se bat pour savoir qui gardera les sacs. Évidemment, t’es bien plus fort que moi, tu réussis d’une façon ou d’une autre à m’empêcher de bouger. « Qu’est-ce que tu vas faire, maintenant, tu vas me foutre ton poing dans la gueule ? » Et moi, même si je lis la colère dans tes yeux, même si je sais que je te pousse à bout, je suis bien trop conne pour arrêter de te provoquer. Et finalement, je crois que c’est ce qui t’arrête dans ton élan. Tu relâches la pression sur mes membres, et puis tu me libères de ton emprise. Enfin, t’en as pas encore fini avec moi pour autant. « Tu sais quoi ? Tu n’as qu’à y aller. Prends tes affaires, et tire-toi. » Contre toute attente, c’est moi qui suis surprise de ta réponse. « Quoi ? » « Barre-toi, je te dis ! Barre-toi, va te faire mettre en cloque par le premier venu, après tout, ce sera pas la première fois. Peut-être que ton gosse survivra assez longtemps cette fois pour voir à quel point t’es pathétique. » Je ne me fais pas prier et la gifle part sans que je m’en rende compte en même temps que les larmes me montent aux yeux. C'est à ça qu'on en est réduit ? A voir qui gagnera ? A pousser jusqu'à ce qu'on n'en puisse plus ? Pour quoi faire ? A quoi bon ? Tout ça ne mène à rien. On est juste pas fait pour être ensemble. Pas fait pour être heureux. Il y a ceux qui sont écrits dans les étoiles, ceux dont le destin est sellé depuis toujours. Et puis il y a nous. Deux pauvres tâches dans une galaxie parfaite. Tu sais, c'est pas facile tous les jours de t'aimer. Je crois même que c'est la chose la plus difficile que j'ai faite jusqu'à maintenant. C'est pas facile et ça me terrorise. Et si un jour, t'en as marre de toutes nos conneries ? Et si tu décides que finalement, quelque chose de mieux t'attends ailleurs ? Je le comprendrai, tu sais. Je serai même pas capable de t'en vouloir. Tous les deux, on est une plaie. On fait pitié à voir. Et pourtant, je peux pas m'en empêcher. Je suis coincée, parce que je t'aime à en crever. Et toi, soudainement, comme si tu venais tout juste de réaliser ce que tu es en train de me balancer, tu t'adoucies. Je vois la colère s’éteindre, je vois ton visage prendre l’expression de la surprise. Mais c’est trop tard, tout ça est déjà bien loin. Trop loin. Tu ne peux plus reprendre tes paroles, tu ne peux plus reprendre la douleur. Alors tu as beau t’approcher de moi, me prendre dans tes bras, essuyer mes larmes et te confondre en excuses, le mal est fait. Et pourtant, quand je devrais te fuir, quand je devrais prendre mes affaires et prendre mes jambes à mon cou, je reste. Je reste, parce que c’est ici, chez moi. Je reste pour toi, pour moi aussi. Je reste pour cette douleur, mais surtout pour les bons moments.