Mon père était Américain, ma mère Irlandaise, mais je suis né à Berlin, le vingt-et-un novembre mille neuf cent quatre-vingt-deux. De ce fait, je suis Allemand depuis peu, en fait, puisque mes parents n'ont jamais demandé à se faire naturaliser. J'ai toujours aimé la culture allemande, mais c'est surtout parce que je savais que bientôt, je devrais partir, que j'ai souhaité garder un peu de ce pays là avec moi. Mais parlons plutôt de ma vie à cette époque. Quand je suis né, j'avais déjà deux grands frères et une grande soeur. Ezekhiel, l'aîné, qui faisait tout pour sa famille, depuis toujours, il est mon modèle. Vient ensuite Erik. Lui, ça a toujours été un je m'en foutiste. Il a toujours rejeté tout le monde, son frère, sa soeur, ses parents, moi, même si je m'entendais plutôt pas mal avec lui, de temps en temps. Et puis Lilzbeth, un vrai garçon manqué, un caractère plus trempé encore que ses aînés. Mais adorable. Il y a eu moi, Phoenyx, le gosse un peu paumé qui arrivait comme un cheveu sur la soupe, qui veut bien faire mais qui est souvent mal compris. Lorsque j'eus deux ans, j'ai eu une seconde soeur, Zira. La seule de la famille a être introvertie et très peu sûre d'elle, timide et renfermée. Dès le début, je l'ai aimée comme personne. Quand mon père décida de ne plus lui donner de chance parce qu'elle n'osait rien faire, c'est moi qui me suis chargé d'elle. A mes dépends, en sacrifiant souvent ce que j'avais. Je prenais à peu près tout à sa place, les réprimandes, les punitions, les corvées, pour éviter qu'elle ne se fasse blâmer un peu plus par mes parents, trop sévères envers une gamine qui n'a rien demandé. Rien demandé d'autre que la paix, et de pouvoir être comme elle est. Je comprenais sa détresse à cent pour cent, puisque moi même, j'étais dans son cas. Oh non, je n'osais même pas montrer que j'avais peur d'aller chez le voisin taxer quelque chose, mais cela me mettait toujours une boule au ventre. Mais je devais le faire. Mon enfance n'a pas du tout été simple. On n'avait pas beaucoup d'argent, pour une famille de sept personnes, on devait toujours voler, mendier, arnaquer. Les parents nous utilisaient pour aller voir les personnes dans la rue et quémander, les passants sont toujours plus attendris par un enfant affamé que par un adulte assis en tailleur dans la rue avec une pancarte "Donnez s'il vous plait." A l'école du quartier, ça a toujours été plutôt simple pour moi. Habitué aux refus, à la haine des gens, je me moquais de ce qu'on pouvait me dire, j'étais un dur à cuire, et personne ne venait m'embêter. C'était une période plutôt noire, mais que je n'oublierais pour rien au monde. Si les choses avaient pu rester comme ça, du début à la fin, cela aurait été bien plus simple, et bien plus beau.

Mon adolescence a à peu près suivi le cours de mon enfance. Sauf que de petit mendiant auprès des vieilles dames riches, je suis passé au stade de voleur. Dans les supermarchés, ou presque n'importe où. Au départ, je me faisais prendre. J'ai terminé plusieurs fois au poste, d'où on me relâchait vite après avoir vu que ma survie dépendait de ça. On me sermonnait, puis on me laissait partir, même si on savait très bien que le lendemain, je serais dans l'obligation de recommencer, encore et encore, inlassablement, le même exercice, sous peine de crever de faim. Même si, la plupart du temps, la nourriture que je volais, je la donnais en intégralité à ma soeur, qui refusait d'aller voler, d'aller mendier, de demander. Mes parents la mettaient souvent à la porte du taudis dans lequel nous nous entassions. En douce, je sortais et restais avec elle, pour éviter qu'elle n'ait des ennuis, dehors, seule. Le bordel a vraiment commencé dans la famille quand, alors que j'avais seulement dix-huit ans, mes deux frères se sont violemment disputés. Des objets volaient dans tous les coins, même les parents faisaient profil bas. Erik se sentait dévalorisé, à côté de son frère, l'homme de la famille après mon père. Cela engendra une violente bagarre, dans laquelle coups et gifles se perdirent. Jusqu'au moment où Erik sortit une arme de sa veste et tira sur son grand frère. Il l'atteignit au poumon gauche. Le tireur laissa tomber son arme sur le sol et s'enfuit de la maison, où on ne le revit plus jamais. Des amis de mon père vinrent nous dire qu'il s'était fait tuer dans un règlement de compte dans le gang qu'il avait soit disant intégré. Ezekhiel fut amené en urgence à l'hôpital, où il survécut de justesse. C'est au retour de l'hôpital, où on avait récupéré le convalescent, que tout tourna au drame. Dans la voiture, nous étions six. Ma mère conduisait, mon frère était à l'avant, ma grande soeur, ma petite soeur et moi nous serrions comme nous pouvions à l'arrière, au côté de notre père, dans ce tas de boue qui, miraculeusement, roulait encore. Mon paternel hurlait, comme à son habitude, après ma mère, qui gueulait tout autant à vouloir se révolter. Il la traita de tous les noms. Elle en eut marre, et au moment où elle tournait la tête vers l'arrière de la voiture pour lui cracher à la figure, ses mains donnèrent un coup sur le volant qui fit virer l'épave dans le décor. Lancée à plus de cent kilomètres par heure sur l'autoroute, les dégâts s'en ressentirent. La voiture n'était plus qu'un amas de ferraille. Tout le monde avait perdu conscience. Je fus le premier à me réveiller, et à m'extirper tant bien que mal de la quatre roues qui avait atterri sur le dos. Du sang maculait mes vêtements, mais j'étais plus occupé à penser à ceux qui étaient restés dans la voiture. Je sortis mon père en premier, car c'était le seul à avoir un téléphone. L'homme était en très mauvais état, et cela me rendait anxieux pour la suite. J'appelais les pompiers, en urgence, sans trop donner de détails. Je jetais le téléphone par terre et sortis, dans l'ordre, ma soeur, ma mère, puis mon frère. Avant que les pompiers n'arrivent, il avait déjà succombé à ses blessures, la balle qu'il avait reçu un peu auparavant l'ayant fragilisé. Mon père allait mourir sur le chemin de l'hôpital. Il ne restait plus que ma soeur, salement amochée, ma mère, qui par enchantement n'avait pratiquement rien, et moi, qui commençais à m’essouffler après avoir dû faire sortir ma famille de la voiture. Je sortis plutôt rapidement de l'hôpital, plus parce que je déteste cet endroit que parce que j'étais guéri. Je suis resté au chevet de ma soeur pendant deux semaines, son état n'était toujours pas stable. Mais ma mère m'a forcé à la suivre et c'est ainsi que j'ai abandonné Zira, que les médecins nous ont déclarée morte la semaine qui suivit par téléphone. J'avais donc suivi ma mère dans un quartier merdique, où la vie était minable. J'avais dix neuf ans quand j'ai voulu la quitter pour voir le monde, mais ses menaces me faisaient plier sans cesse. J'ai donc attendu avec elle que la vie passe pendant quatre ans. Peu après le jour de mes vingt deux ans, des gars un peu trop bourrés sur les bords se sont attaqués à ma mère, alors que j'étais parti gagner un peu d'argent dans des arnaques, comme toujours. Quand je suis revenu, il était déjà trop tard, et ma famille se réduisait donc seulement... A moi, Mandy Phoenyx Laref. A mes vingt-deux ans donc, j'ai quitté ce coin pourri de Berlin pour la France, où j'ai passé deux ans à faire des études, je ne me souviens même plus en quoi aujourd'hui. J'ai été très mal accepté, mon accent allemand et mon caractère, couplés à un Français pas très génial n'avaient pas du tout fait l'unanimité. J'y ai quand même rencontrés deux ou trois amis, des arnaqueurs, des voleurs. Ils m'ont embarqué dans leurs conneries, mais les choses ont très mal tourné. J'ai fui le pays pour les Etats-Unis le plus vite possible, avant de me faire attraper, le risque était beaucoup trop grand. Me voilà donc arrivé, comme l'on dit, dans le pays de la liberté.

Je n'ai plus personne, je ne connais plus rien, j'ai tout perdu. Je suis seul. C'est moi contre le monde. Ou moi avec le monde. C'est ce jour que j'ai compris que même si cela serait difficile, je pourrais remonter la pente. Je ne pourrais jamais oublier, mais il s'en voyait inutile de rester bloqué là, à attendre que le temps passe et à détester le monde. Si je faisais comme si le monde était à mes pieds, la journée, en sortant, peut être qu'au bout d'un moment, cela s'avérerait vrai. Et ça marche à peu près. Beaucoup de gens aiment bien mon côté dévergondé, certains, en revanche, me trouvent trop extravertis. Je me fais beaucoup de connaissances, quand je sors dans la rue, je me fais interpeller une bonne dizaine de fois, c'est plutôt flatteur. Avec mon boulot, soit tatoueur, je vois souvent les mêmes personnes, que ce soit des femmes ou des hommes. Ils sont tous sympas, quand ils ne sont pas trop excentriques. Y en a un qui me parlait de ses offrandes de chats à Satan, pendant que je lui tatouais un pentagramme sur l'avant bras gauche. De quoi faire flipper, même si je suis très ouvert... Mais une chose manque encore à mon bonheur, et même deux, voire trois. L'une, c'est de trouver quelqu'un de vrai, de sincère. Quelqu'un envers qui on n'est pas obligé, tous les jours, de faire semblant d'être heureux. Avec qui on peut, de temps en temps, arrêter de sourire parce que ça nous fatigue, qu'on n'en a pas envie. Une famille, aussi. Une vraie. N'importe laquelle, peut m'importe si ça n'est pas de sang. Et peut être par dessus tout pouvoir enfin tourner la page, parce que j'ai beau me voiler la face, je n'arrive toujours pas à surmonter tout ça.