Dormir dehors un temps, ça va. Dormir dehors tout le temps, c'est un peu plus gênant. Surtout quand il ne fait pas très chaud et que du coup, il faut des vêtements adéquats. Sauf que même ça, tu n'as pas l'argent pour te le payer. Alors t'attrapes froid. Donc, il te faut des médicaments. Mais ça non plus, tu ne peux pas l'acheter, puisque tu es fauché. T'as rien pour trouver un boulot, personne ne veut de toi. Tu ressembles à rien, tu t'es pas lavé depuis des lustres, tu connais personne, tu te sens seul et tu te sens condamné à vivre là pour toujours, au détour d'une rue si fréquentée, mais où jamais personne ne baissera les yeux pour te voir y croupir. Personne ne te prendra en pitié, ça serait trop beau, y a que dans les films hollywoodiens que tu peux voir ça. Alors tu mourras comme ça, dans le froid, comme un pauvre sans domicile fixe que tu es devenu, à être devenu fou et à n'avoir jamais été aimé par personne. Tu te résignes.

Sauf quand tu te rappelles, instantanément, du coup de fil que tu as reçu il y a quelques temps. Car oui, tu as un vieux téléphone merdique, qui ne vaut rien, mais qui est utile de temps en temps. La preuve suit. Il y a quelques jours, Phoenyx m'avait téléphoné. Oui, ce type je l'avais rencontré dans un bar, un peu en dehors de Montsimpa, et on avait découvert qu'on vivait tous les deux ici. Il m'avait payé un verre, puis deux, et au final, toute une tripotée. Un peu trop bourré, j'avais fini par lui dire que j'étais totalement à la rue. Il m'avait promis que s'il pouvait y faire quelque chose, il me téléphonerait. Il a tenu parole, puisqu'en m'appelant, il m'avait donné son adresse. Phoenyx m'avait dit de venir si je le voulais, qu'il pourrait me donner de quoi "ne pas mourir". Mais de là où j'étais, je trouvais ça franchement trop loin, à pied. Et puis, au fil des jours, j'avais atterri pas loin de chez lui, et je me suis souvenu. J'avais inscrit sur un vieux bout de papier l'adresse exacte. Je m'y rendais justement en ce moment. Je ne savais pas trop à quoi m'attendre, il ne m'avait trop rien dit sur sa vie, sa famille. Moi je lui avais juste dit que j'étais définitivement seul, et que je n'avais même pas la nationalité américaine. Au fil de mes pas, arriva l'endroit que j'attendais. Un peu déboussolé, comme toujours, je frappais à la porte de mon nouvel ami, espérant qu'il soit là. Il le fallait, sinon j'allais me retrouver comme un con.

Spoiler:

J'avais attendu assez longtemps pour me dire que Phoenyx n'était pas là, au moment où j'entendis les aboiements d'un chien, à l'intérieur de la demeure. Oh mon dieu, il avait donc un chien. Espérons que ce ne soit pas un chien trop énorme ou trop envahissant. Les chiens ne m'aiment pas beaucoup en général. Il parait que c'est à cause du fait que l'odeur d'alcool ne les enchante pas, du coup ils me poursuivent sans arrêt, dans les rues, les parcs, à peu près n'importe où. Et ce chien là n'échapperait pas à la règle, puisqu'au moment où j'allais m'en aller, Phoenyx ouvrit la porte et la bête me sauta dessus. Je tentais de la calmer, ou au moins de la faire descendre sur ses quatre pattes. Au final, ces bêtes m'effraient. Celui-ci n'avait pas l'air bien méchant, mais tout assez pour me faire rester sur mes gardes pendant un bon moment.

Phoenyx s'adressa à moi. Je ne pris pas la peine de le regarder dans les yeux, trop occupé à faire attention à sa monstruosité de chien. Oh, Théo, je croyais que tu ne viendrais plus ! Vas-y, rentre, fais comme chez toi ! Euh... Comme chez moi ? Ouais, si tu veux, mais ça risque de finir en porcherie pleine de bouteilles d'alcool par terre, et toutes pas forcément terminées. Je me risquais donc à pénétrer chez lui, sûrement collé aux baskets par son animal de compagnie. Une fois sur le pas de la porte, j'analysais tout rapidement du regard. Cet endroit avait l'air d'un palace pour moi, après des nuits sous la lune. Je regardais de partout, même s'il n'y avait pas grand chose à voir. Comme un gosse émerveillé parce que ses parents l'emmènent à Disney World. Si si, je vous promets.

Phoenyx fit reculer son chien. J'étais un minimum plus rassuré. Pas que le chien me fasse moins peur, mais s'il était obéissant, on pourrait éviter bien des dégâts. J'avançais donc dans la demeure, et mon hôte s'aperçut bien rapidement de l'expression qui se dessinait sur mon visage. Eh, regarde pas ce taudis comme si t'aimais, t'es pas obligé ! Oh non, je ne me forçais pas, bien au contraire, je n'avais plus vu un endroit aussi sain, bien qu'il soit loin d'être très clean naturellement, depuis que je vivais dans la rue. Je ne lui répondis pas, non pas par impolitesse, mais surtout parce que j'allais éviter de m'étaler sur le sujet. Je n'aimais pas tellement avouer aux gens que j'étais carrément SDF depuis des années maintenant. Oui, lui il le savait, mais j'étais bourré, et il parait que l'alcool peut agir comme un sérum de vérité. Ce coup là, ça avait rudement bien fonctionné. Phoenyx me proposa de m'asseoir, requête à laquelle j'adhérais pas mal, les canapés, je ne connaissais plus vraiment, et ce depuis belle lurette. Il n'était pas de la plus grande classe, mais de quoi je me plaignais, je n'avais rien eu d'aussi confortable depuis... Depuis toujours, en fait, quand on voyait l'état de mon lit de jeunesse. Quand j'y pense, je me dis que c'est sûrement à cause de ce morceau de bois que mon dos me fait souffrir tous les jours. Tu veux quelque chose à manger ou à boire ? Phoenyx me rappela à l'ordre, m'arrachant à mes pensées débiles. J'hochais la tête sans trop de conviction. S'il voulait. Ce qu'il voulait. Peu m'importait. J'aurais mangé un bout de pain rassis tellement je crevais de faim. Le chien s'assit en face de moi, me fixant intensément de ses grands yeux noirs. Je sursautais un premier temps, puis me pris à faire de même, pour voir ses intentions. Il ne bougeait pas, comme un chien d'arrêt. Je me risquais à poser ma main sur sa tête, histoire de savoir si j'étais entrain de me faire un ami, ou de confirmer un ennemi.