« Qu'est-ce que je m'emmerde... » Errer sans but dans le cimetière, c'est bien, ça parait même tout à fait normal, c'est un peu l'endroit où les gens attendent que les fantômes restent tranquillement, bien parqués comme de gentils amours craints depuis toujours par les mortels. Après tout, ils pensent aussi que les fantômes sont des masses gazeuses qui se baladent avec un drap sur la tête, des trous pour les yeux, et un boulet qui traine par terre, alors qu'ils n'ont rien pour y être attachés. Le cimetière, à cette heure, était vide de toute vie humaine faite de chair et d'os si enviables aux fantômes. Tout ce qu'on pouvait voir bouger, c'était des oiseaux, bien tranquilles dans un endroit pareil, des feuilles qui tombaient des arbres secoués par les bourrasques de vent occasionnelles. C'est d'un commun accord avec lui même qu'Aeldrinn se mit à penser qu'il serait utile pour sa cause de sortir de là, de cet endroit qui ne lui servait qu'à attendre que l'éternité se passe. S'il voulait ressusciter, il n'y avait qu'un moyen, au fond. Trouver des gens qui sauraient, et pour les trouver, fallait-il encore les chercher. Se faire connaître des habitants de Montsimpa était donc l'unique solution de ne pas rester toute sa vie une masse invisible aux yeux des humains encore vivants.

La notion du temps était devenue difficile à maîtriser pour Aeldrinn depuis qu'il était mort. Tout ce qu'il savait c'est qu'il devait être tôt dans l'après-midi. Le jour de la semaine, peu lui importait. Il se cachait un peu des lieux fréquentés comme les magasins et autres, qui pourraient l'aiguiller sur l'heure et le jour, mais à quoi bon, c'était un fantôme, après tout... Thomas se dirigea vers un endroit fréquemment peuplé par les gosses de la ville, ainsi que ceux qui n'avaient pas grand chose d'autre à faire. Autrement dit, le parc. Personne ne se tourna à son arrivée, à son passage à côté des enfants, seuls les oiseaux sentaient sa présence et fuyaient, ce qui alertait un minimum les gens présents. Mais rien à faire, Aeldrinn continuait de passer inaperçu. Et comment réagiraient les passants s'ils entendaient tous la voix d'un homme invisible ? Ca serait la cohue, le chaos, la folie, et il serait définitivement réduit à son rang de fantôme, sans espoir de rédemption. Il opta pour une autre façon de faire. Parcourant de long en large le parc, Thomas élimina les enfants et les personnes âgées, avant de se dire que les hommes seraient moins réceptifs. Il se concentra alors sur les femmes. Pas sur les mères, qui chercheraient à protéger leur enfant. Pas celles qui étaient accompagnées, non, il voulait parler à quelqu'un face à face, si l'on pouvait dire ça. S'approchant d'une jeune fille qui n'avait pas l'air accompagnée, ou trop occupée à faire autre chose que profiter du parc, Aeldrinn prit son courage à deux mains. « B... Bonjour madame. » Il ne savait pas qu'elle était officiellement mariée, mais à son époque, à l'âge que paraissait avoir cette femme, les demoiselles étaient déjà fiancées, voire mariées. On ne finissait pas célibataire à quarante ans, sauf si l'on était veuve. Le fantôme ne savait pas trop comment appréhender la réaction de la jeune femme dont il restait à côté. Soit elle fuyait, soit elle lui répondait, pour être sûre qu'on lui avait parler. Croyait-elle donc aux fantômes ? Aeldrinn espérait juste trouver quelqu'un à qui dire qu'il était là, afin de ne plus passer pour inexistant.

Aeldrinn était peut être inconscient de s'adresser ainsi à des inconnus, qui pourraient, pour la plupart, ne pas croire en l'existence d'autres formes "d'êtres humains" que celle qu'ils connaissaient déjà. Mais le fantôme n'en avait que faire. De toute manière, personne ne pourrait lui faire quoique ce soit, il était capable de traverser tout et n'importe quoi, les portes, les murs, le métal, l'acier, le sol même, puisqu'il avait pu sortir de sa tombe improvisée lors de la Seconde Guerre Mondiale, bien qu'il n'avait jamais cherché à recommencer et s'enfouir sous la terre, vu la frayeur qui l'avait pris au moment où Aeldrinn s'était réveillé sous terre sans savoir pourquoi. Il ne craignait donc en aucun cas les armes blanches ou même les armes à feu. Quoique ça l'effrayait d'imaginer que quelqu'un lui tire dessus, juste parce qu'il pourrait être traversé comme d'un rien et que quelqu'un d'innocent juste derrière serait là pour prendre la prune à sa place. C'était peut être l'unique chose qui effrayait Aeldrinn, lui qui avait vu des dizaines, voire des centaines d'innocents mourir sous ses yeux, et il refusait que ça recommence, qui plus est de par sa faute. Thomas remarquait que la femme, qu'il venait d'accoster d'une manière aussi invisible de possible, regardait autour d'elle, cherchant quelqu'un de visible, d'humain, une personne qui pourrait être près d'elle et lui dire bonjour. Mais non, personne n'était là, autour d'eux deux, seulement de l'air et le sentier du parc. Elle cherchait sûrement quelqu'un de caché, qui voulait lui faire une farce, se moquer d'elle ou lui faire peur. Peut être aurait-elle préféré que ça soit ça, mais malheureusement, elle devrait faire avec le fait que c'était bien une entité invisible qui lui avait adressé un bonjour.

« Bonjour ? Qui est là ? » Dans le ton de la jeune femme, Aeldrinn pouvait décerner un fond de peur, sûrement dû au fait que celle à qui il s'était adressé ne pouvait strictement pas voir qui lui parlait. Au moins, elle ne paniquait pas. Du moins pour le moment. Pas sûr que ça reste aussi calme quand elle saurait qu'elle parlait à un fantôme. La dame devant lui ne se concentrait certainement pas assez pour voir devant elle la masse humaine à moitié invisible qui se présentait droit comme un i. « Je m'appelle Aeldrinn. Je sais, vous devez vous demander ce qui se passe, mais concentrez-vous un peu, juste devant vous, vous verrez que je suis là. C'est effrayant, je peux comprendre, mais oui, je suis un fantôme. Un fantôme plus seul que n'importe quel fantôme à la télé ou dans les livres. » Parler pour ne rien dire, Ael ? A peine. Seulement une façon de prouver à son interlocutrice qu'il avait beau être à moitié transparent, il était non violent et cherchait juste à se faire connaître, une fois de plus, à exister purement et simplement, plutôt que passer inaperçu et disparaître de la mémoire de tout le monde, comme s'il était mort. Enfin oui, Aeldrinn était mort, mais son malheur était bien pire, il était désormais un fichu fantôme, incapable de vivre comme un être humain normal. C'était dans cette horrible optique que le vétéran de la guerre cherchait à tout prix à se faire connaître, à parler à des gens, attendant de tomber sur celui qui pourrait l'aider, ou sur une personne qui connait quelqu'un de compétant pour l'aider à redevenir normal, avec tous les désavantages que cela pourrait causer. Thomas s'en moquait totalement, il souhaitait juste sortir de cet enfer.

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