Il s'agit là d'une énième nuit. Encore une, tout autant pesante que les précédentes. Je m'y fais, et ne réfléchis même plus. J'avance tranquillement, comme n'importe qui le ferait au milieu d'une foule, sauf que personne ne me voit. Cela ne fait qu'une heure que la nuit est tombée, mais je n'ai pas arrêté de marcher pendant toute cette heure-là. Chaque nouveau pas que je fais semble mener à une personne en moins dans la rue. La nuit les fait fuir, ils rentrent tous. Certains vont dormir, d'autres faire la fête. Il en existe aussi d'autres qui découvrent l'amour sous la chaleur de leurs draps. Moi, j'erre chaque jour davantage dans les rues, dans la ville, découvrant les gens tandis qu'ils vivent sans difficulté. Au bout d'un moment, je vois une jeune femme qui marche. J'ai l'impression qu'elle peut avoir une importance pour moi, comme si, même en n'étant pas un fantôme, elle a un lien avec nous. C'est stupide de penser ainsi. Ce n'est probablement qu'une apparence, j'ai appris à ne pas me fier à ces dernières. Je m'approche d'elle, nous sommes désormais seules dans cette rue, et je pose ma main sur son épaule. J'aimerais que cela l'arrête, qu'elle me fasse comprendre qu'elle sait que je suis là, mais inévitablement, ma main la traverse. Elle s'arrête alors, je m'émerveille, et j'espère plus que jamais qu'elle pourra peut-être m'aider. Ses mots s'échappent alors de sa bouche et je fais le tour de sa personne pour finir face à elle. "- Comment le sais-tu ?" Je ne sais pas que ma voix est accessible à toute personne vivante, alors je me contente d'espérer, je n'ai plus que ça à portée de main de toute façon, j'y suis habituée. Je soupire, je remets mes cheveux en arrière, comme pour essayer de réfléchir. Ce n'est pas possible que ce soit réel. Cette jeune femme ne peut pas sentir que je suis là, juste à côté d'elle, elle n'a aucun moyen. A moins qu'elle soit un fantôme elle-même ? Non, ce n'est pas possible. Je commence à laisser ma raison reprendre possession de moi, laissant s'échapper tous les espoirs fous, et je prononce pourtant une phrase folle "- Aide-moi si tu le peux..."

Les âmes seules n'ont aucun refuge, si ce n'est l'immensité du monde qui les perd dans un tourbillon de tourments. Ne vous laissez pas tromper par cette idée que l'immensité permet une joie infinie, une fuite de l'esprit. Plus votre monde semble immense, plus il est refermé sur lui-même. Être fantôme ne me rend pas heureuse, cela pourrait être le cas, mais je me sens comme emprisonnée dans mes propres pensées. Je pensais avoir accès à un monde plus grand, plus simple, dénué de toutes ces injustices que nous croisions à chacun de nos pas lorsque nous vivons. J'avais tellement tord. Je me retrouve ainsi, face à cette jeune femme, à lui demander de l'aider, à me demander comment elle peut avoir connaissance de ma présence. Je suis perdue. Une porte de sortie semble finalement s'ouvrir, comme un espoir ultime d'être encore liée à la vie. Je retrouve cet espoir, je sens la joie m'atteindre, et pourtant, je veux la repousser. Je déteste me laisser emporter par un espoir incertain. Je n'en ai plus l'envie, plus le temps. J'ai pourtant l'éternité devant moi. Pourtant, je n'ai plus de temps à perdre à me laisser tomber dans une douleur incroyable, cette douleur tout droit sortie d'un manque de réalisme. Je n'ai plus que ce réalisme auquel je dois m'accrocher. Si je sombre, je ne pourrais plus jamais me tenir de l'autre côté de la barrière. Je la fixe, je ne réussis pas à me détacher d'elle, parce qu'elle a un pouvoir incroyable, elle peut peut-être changer ma vie, peut-être... J'écoute son explication concernant ma présence qu'elle a ressenti, et je m'étonne encore davantage, si cela reste possible. "- Mais je te traverse, et personne ne me sent d'habitude... je... ce n'est pas possible, tu es aussi un fantôme !" Ma voix devait certainement trahir à la fois ma joie et ma peur de voir cette opportunité s'envoler, mais je ne parviens plus à la contrôler. La situation m'échappe, et je déteste cette idée. C'était pleine de sentiments tellement contradictoires que je venais de lui demander de m'aider. Elle semble savoir où je suis, me voir. Et si je commence à m'ouvrir à ce monde auquel j'ai appartenu qu'une vingtaine de courtes années ? Tais-toi Rebekah, cesse de penser à ce genre de choses. Tu te fais du mal inutilement, arrête. La réponse de la jeune femme résonne alors dans mes oreilles et rallume une sorte de flamme au fond de moi. Elle ne me fuit pas, elle ne dit pas non tout de suite. "- Je m'appelle Rebekah... et j'aimerais vivre... aide-moi à trouver la solution... elle existe, j'y crois..." Elle va me prendre pour une folle, mais elle n'aura même pas tort. Je ne suis qu'une idiote à croire qu'on a le droit à une seconde chance, qu'une fois la vie terminée, elle pouvait recommencer. Tant pis, je veux tenter le tout pour le tout, et j'aimerais qu'elle m'aide.