« Surveille ton frère, on est de retour dans cinq minutes Nathan. » Un baiser sur le front et quelques pas plus tard, tu te retrouves seul. Ou presque. Tu lèves les yeux vers le ciel bleu, il te semble infini. Tu as sept ans et toutes tes dents. Tes parents vous ont emmenés au lac, cet après-midi-là. Pour vous détendre. Pour profiter des beaux jours. Pour qu'ils puissent respirer un peu, eux aussi. Se détacher de cette routine qui les étouffe. Sur le sable fin vous êtes presque seuls, toi et Solal. Ton frère de quatre ans. Les familles éparpillées au loin ne se préoccupent pas de vous. Vous pataugez dans l'eau en attendant que les parents reviennent. Ils sont partis à la voiture, chercher de quoi manger. La chaleur vous tape sur la tête, sur les joues, sur le dos. Il fait si chaud. Rapidement tu décides de mettre la tête sous l'eau afin de te rafraichir un peu. Y'a pas mieux. Tu remontes à la surface, puis jettes un coup d'oeil à Solal. Tu ne le quittes pas. T'essaies. Il s'amuse à faire son château de sable au bord du lac, un peu plus loin. L'eau est quand même fraiche donc tu le rejoins. Avec tes petites mains tu bâtis à ton tour une muraille, pour que le château ait de la gueule. Tu recules de quelques pas, quelle classe. L'eau se cogne aux parois mais y'a rien à faire, ça lâche pas. T'es fier de toi, de vous. Avec tes petits doigts potelés t'écartes une mèche de ton visage. Voilà qui est déjà mieux. Après réflexion, tu penses qu'il faudrait créer un pont, de sorte que l'eau puisse passer dans l'enceinte du château. Un véritable architecte en herbe. Vite, il te faut soumettre ton idée à ton frère. « Hé Solal ? » Tu tournes ta tête mais ne le vois pas. Ni une ni deux tu te retournes vers l'eau glacée, il est sans doute parti se baigner. Un pas, deux pas, t'accélères. Un truc flotte à la surface. Ça te donne envie de shooter dedans. L'eau jusqu'aux genoux, tu t'approches ; et c'est là que tu comprends. « Solal ? » tu tapotes sur son épaule, t'attends qu'il réponde. « Hé tu dors ? » Faut toujours qu'il fasse la sieste n'importe où celui-ci. Tu patientes un peu mais l'attente se fait longue. Tu ne comprends pas ce qu'il se passe. Tu croises les bras sur ta poitrine et bientôt les parents reviennent. Ils sont là. Ils ont tout vu. Et c'est seulement lorsque t'entends ta mère pleurer et ton père crier que tu comprends. Ton petit frère s'est envolé. Par ta faute. Et il n'aura suffi que d'une minute.

L'instinct de survie. La rage de s'en sortir. C'est ce qu'on lit dans tes yeux. Tes grands yeux écarquillés et insolents. Insolents de naïveté. « Et si ça te plait pas tu dégages. » Un ton dur, froid, tranchant. Dont tu te rappelleras toute ta vie. La porte s'ouvre sur la rue et ton père te pousse dehors par les épaules. Ce sera la dernière fois que tu le verras. Il ne te manquera pas. Un branleur, c'est bien ainsi qu'il te qualifiait ? Ça te fait soupirer. Qu'est-ce que t'y peux si t'as des facilités, que tu réussis tout ce que t'entreprends, si t'es le premier à l'école depuis toujours sans rien foutre. Haine, jalousie, tu n'arrives pas à placer un mot sur le sentiment qui unit ton père à ta personne. Lui-même mécanicien de profession, il aura pas supporté ton talent. T'étais brillant. Ta vocation de médecin te porte aux tripes depuis toujours. T'as jamais été plus heureux qu'en cours, lorsqu'il te fallait manipuler seringues et autres outils pour t'exercer. Pour apprendre. La soif d'apprendre, c'est sans doute ça. Ça qui te faisait te lever chaque matin avec cette rage de réussir. Mais tout a un prix. Un prix que ton père n'aura pas su payer, qu'il aura refusé. La réussite s'achète. Dix-huit ans et des rêves plein la tête, tu t'élances dans la rue, sans retourner sur tes pas. Ton père n'a pas su voir en toi un potentiel certain, il t'aura jamais pardonné non plus cet après-midi-là d'été. Au lac. Cette absence qui résonne encore dans sa chambre vide. Mais ce n'est pas grave. Rien n'est grave.

A la station-service, au bar, dans des magasins, un peu partout où l'on te prend, tu bosses. T'enchaines les petits boulots les uns après les autres et t'attends que la vie se passe. Tu persévères, tu ne lâches rien. Jamais. Par superstition et parce que c'est ton chiffre favori tous les douze du mois, tu joues. Au loto. Tu coches des chiffres et des numéros avec ce sourire un peu insolent qui ne te quitte pas car tu sais que c'est idiot. C'est idiot mais tu ne cesses pas. Qui ne tente rien n'a rien, c'est ce qu'on dit. Les jours passent et se ressemblent. Tu fais ce que tu peux pour continuer à vivre. Rhea te soutient comme pas deux. Rhea, ta moitié, celle avec qui tu es depuis trois ans déjà. Tu sais pas ce que tu serais devenu sans elle. Un soutien, une épaule, un amour. Elle est là. Toujours là. Présente, à tes côtés. Elle, juste Elle. Tu ne le lui dis jamais mais tu sais qu'elle le sait. Que tu l'aimes. Que sans elle t'aurais déjà perdu pied. Dans les bons et les mauvais moments, elle ne lâche pas. C'est peu dire que la vie ne t'aura pas toujours fait de cadeau. Et il faut croire que la roue tourne. T'avais falli oublier d'allumer la télé aujourd'hui. C'est stupide de toute façon. Alors t'en crois pas tes oreilles quand tu vois que les chiffres correspondent. C'est bon. C'est fait. C'est toi. Première chose que tu fais, t'attrapes ton téléphone et appelles ta meilleure amie. Lula, la jolie Lula. « J'ai gagné. » Elle comprend pas ce que tu lui racontes. Tu t'en fous. « Viens avec moi. » Répondant à tes impulsions tu décides ça en deux minutes de temps. Huit millions d'euros à la clef. Pour toi. Rien que toi. Tu vas visiter le monde. Et ça te fait tourner la tête, c'est clair. Une sensation de toute-puissance t'envahit ; t'as même plus l'impression d'être toi-même. Le Brésil, l'Italie, la France, le Japon, le Congo, le Pérou, l'Espagne, l'Inde. Tout ça est à toi. Entre tes doigts. Aussi longtemps que tu le voudras. « Ne pose pas de question. » Et Lula t'accompagne. Comme toujours.

A la hâte tu jettes des vêtements dans ta valise. Le peu que t'as. Tu t'en fous. T'es désormais millionnaire. Lula te regarde et elle rit. L'adrénaline vous envahit. Vous allez partir, tous les deux. Assise sur le lit elle t'observe avec ses grands yeux et ça l'amuse, ça l'amuse. Tout ça est tellement beau que t'en oublies Rhea. Sans aucune explication tu prends le premier avion et vous voilà envolés pour les Bahamas, ta meilleure amie et toi. Rhea restera en Amérique et n'aura aucune nouvelle de toi, pendant un an. C'était écrit. C'est ce que tu réponds à Lula lorsqu'elle te pose la question. «  Ou alors t'es juste un connard qui s'assume pas. » Tu hausses un sourcil, amusé ; elle a peut-être pas tord. Mais ça ne te fait ni chaud ni froid. T'as vingt ans, la vie devant toi, et la main de Lula dans la tienne. Et jamais tu ne la lâcheras. L'amour se délie au fil des jours. L'amitié pas. Pas celle-là. Les paysages défilent par le hublot. Tu quittes l'Amérique. Enfin. Ta patrie mal-aimée. Tu ne la reverras pas avant longtemps, et c'est tant mieux. Pendant toute une année, tu verras défiler des paysages, des visages, qui resteront ancrés dans ta mémoire et ne la quitteront jamais. Des gens formidables que tu auras rencontrés. D'autres que tu auras bien vite oubliés. Zéa la princesse indienne et vos soirées improvisées. Ton cousin Sam et votre toute première rencontre en Australie. La jolie Roxane et vos torrides nuits françaises. Lula et ses éclats de rire en toutes circonstances. Vos conversations tard la nuit lorsque toute la planète est endormie et pas vous. Des langages, des sourires, des promesses, des plages, des chaudes nuits d'été, des photos imprimées dans ton esprit. Qui eut crû que tout cela te serait apporté par un simple et ridicule bout de papier. Maintenant t'as plus rien. T'as tout dépensé. Tu t'en fous. Les souvenirs valent bien plus que tout.


N'est pas très famille mais rêve d'en fonder une un jour, d'avoir la sienne. Dans longtemps. / A profité de son tour du monde pour tester les différentes filles du globe suivant leur nationalité. / Trouve notamment que les indiennes sont meilleures au lit que les espagnoles. / Garde toujours dans ses affaires une gourmette appartenant à son frère. / Ment très bien. / S'habille toujours classe, même pour aller au supermarché, c'est un principe chez lui. / Son vrai prénom est Nathan, mais tout le monde l'appelle Nate depuis toujours, même ses professeurs lorsqu'il était jeune. Beaucoup ignorent même que ce n'est qu'un surnom. / Lit toujours le dernier chapitre d'un livre avant de le commencer. / Est passionné de littérature française, mais n'en parle jamais. / Est très éclectique dans ses goûts. Que ce soit musicaux, vestimentaires, artistiques. Même niveau filles. / Pense qu'il a des origines brésiliennes lontaines de par son nom mais n'a jamais posé à la question à ses parents. Et ne le fera jamais. / N'a aimé qu'une seule femme dans sa vie jusqu'à maintenant, Rhea Coolidge. / Tient plus que tout à vivre au jour le jour. Emprisonner des évènements prévus des jours et des mois à l'avance dans un calendrier est un concept qui le répugne. / Prend parfois des inconnus en photo, puis observe les clichés plusieurs mois plus tard, et essaie de se rappeler du moment capturé. / A repris ses études depuis qu'il est rentré de voyage, mais refuse de dire d'où vient son entrée d'argent. En réalité il fait du chantage à une ex-conquête. / A une collection de vinyles des années soixante et soixante-dix. / Ne passe pas une journée sans écouter au moins un titre des Beatles. / Trouve que les mots « je t'aime » n'ont aucun sens ni valeur à notre époque. / N'est pas plus sportif que ça, mais a parfois des montées de motivation et il lui arrive de faire de la muscu pour conserver sa plastique. / Mange tout et n'importe quoi mais ne grossit jamais. Se nourrit presqu'exclusivement de coca. / Pour lui l'apparence est primordiale car elle donne la première impression aux gens que l'on croise. / A un faible pour les brunes. / A une phobie particulièrement poussée pour le nombre « 9 » à cause de la célèbre chanson des Beatles à ce sujet.