17 ANS ; SUNSET VALLEY
« Ouuuuh, Sloàan va faire son exposé avec celui qui achète ses fringues dans les brocantes. » « Fait gaffe, son père fait faillite, il a peut-être pas assez d'argent pour se laver, je me boucherais le nez à ta place. » « Prend du désinfectant avec toi, on sait jamais. » Blasée des réflexions de ses amies qu'elle ne comprenait définitivement pas, Sloàan se levait et soupirait d'exaspération. « Fermez-la, c'est franchement pas drôle. Grandissez un peu. » Ces pestes avaient le don de critiquer tout le monde à la moindre occasion. Si Sloàan trainait avec elles, c'était uniquement par dépit. Venant de New York on voyait en elle la fille de la grande ville, toujours à la pointe de la mode et au courant des potins les plus croustillants. Il avait semblé logique qu'elle se retrouve avec ces filles et étant nouvelle, on ne peut décidément pas refuser la moindre compagnie. Aujourd'hui elle n'arrivait plus à les supporter, vraiment. Mais maintenant qu'on l'avait cataloguée comme étant l'une d'entre elles, elle ne se faisait pas vraiment d'amis, le groupe étant plus détesté qu'apprécié pour dire vrai. « Fait pas attention à elles, elles sont pas méchantes au fond, elles essaient juste de se rendre intelligentes et je crois que c'est pas gagné d'avance. » Elle tentait de s'en persuader en tout cas. Ce sont les premiers mots qu'elle lui avait adressés en posant son fessier sur la chaise à côté de la sienne. Elle se fichait bien qu'il soit un looser ou autre, tout ce qui lui importait c'est qu'on ne la mette pas dans le même sac que les autres pimbêches. Peut-être que Gahis s'en rendrait compte lors de leur exposé, bien que pour le moment il semblait plus occupé à gober les mouches en la regardant qu'autre chose. Un léger rire, à la fois amusé et gêné, et elle lui lançait gentiment. « Gahis, tu baves... » Une façon comme une autre de détendre l'atmosphère bien que le visage rougit du jeune homme prouvait le contraire. Elle souhaitait qu'au fur et à mesure du temps, il saurait se détendre et apprécier leur duo pour cet exposé au moins.

22 ANS ; SUNSET VALLEY
Finalement, la durée de l'exposé fut la seule fois où ils eurent l'occasion de parler, Sloàan kidnappée par ses amies, la considérant bien trop "in" pour un garçon comme Gahis. Mais quelques années plus tard, le lycée était terminé et la blonde entrait dans une faculté d'économie, un rêve de son père qu'elle soit dans la finance, enfin bref. C'est là-bas, sur les bancs de la fac qu'elle l'a revu. Il avait changé. Elle ignorait si c'était l'été qui lui avait donné tant d'assurance, mais bon sang, il lui plaisait. Ils se sont revus et ont finalement vite sympathisé. La fac c'est tellement plus facile que le lycée. Plus de groupe, tout le monde se mêle avec tout le monde. Petit à petit leur relation platonique s'est exprimée autrement, se transformant doucement mais sûrement en une attirance mutuelle pour finir en véritable amour. Un amour qui les a mené jusqu'au mariage il y a cinq ans de cela. Dans la même année elle abandonnait le rêve de son père de la voir dans l'économie pour son propre rêve : l'art. Elle avait toujours rêvé de peintre pour vivre, de vivre pour peintre. Et son amour pour Gahis lui donnait des ailes. Leur relation roulait plutôt bien, et tout se décidait plus ou moins sur un coup de tête, sur une envie soudaine. Ils étaient jeunes, beaux, c'était eux contre le monde, point final. Elle se souvenait des paroles de son père qui vouait leur couple à l'échec. Mais rien à faire, elle était têtue et déterminée, c'était lui et personne d'autre. Alors elle lui avait dit oui et ils s'étaient passés la bague aux doigts alors qu'elle n'avait que 22 ans. Ils étaient deux grands gamins - surtout elle - mais ils étaient ensemble, et c'était là le plus important aux yeux de la blonde. Malgré les batailles entre eux que la jeune femme provoquaient souvent pour des broutilles, elle l'aimait, sincèrement, et elle ne voyait pas sa vie sans lui, elle ne se voyait pas ne plus vivre à deux.

C'est d'ailleurs pour cette raison qu'elle lui avait dit oui de nouveau quelques mois plus tard. Mais cette fois ce n'était pas pour un mariage non, mais bel et bien pour faire un bébé, pour ne plus vivre à deux mais bien à trois. Elle était jeune, très jeune, mais elle s'en fichait. Elle se voyait déjà faire sa vie avec lui, jongler entre les études, la famille et les sorties nombreuses. Alors le soir même elle arrêtait sa pilule et ils fêtaient ça dignement dans le creux de leurs draps. Les quelques mois qui suivirent furent probablement les plus beaux de sa vie. Elle passait son temps à peindre, faire la fête et profiter de la vie dans les bras de son mari. Et un soir, elle était là... elle avait élu domicile dans son ventre. Elle était enceinte et heureuse. Elle voulait faire les choses bien, très bien. Sa grossesse s'était très bien passée, elle se souvenait d'un Gahis déjà gaga de sa future petite fille, très protecteur envers les deux femmes de sa vie. Et puis tout bascula quelques temps après la naissance de Cléo. Au début Sloàan faisait les choses bien comme promis, elle s'occupait de sa fille, sortait moins. Mais chassez le naturel et il revient au galop! Au fil du temps, elle laissait Gahis tout gérer. Elle ne se levait plus la nuit pour s'occuper de Cléo, elle rentrait tard et souvent alcoolisée. Et pour cause, elle restait jeune, elle avait ce besoin de profiter de la vie et elle le faisait par de nombreuses fêtes. Là-bas elle avait rencontré "des amis". Des amis de mauvaise fréquentation pour tout vous dire, de ceux qui sont là pour vous trainer dans la merde et qui disparaissent quand plus rien ne va. Ils lui faisaient essayer toute sorte de trucs. Aussi bien des mélanges d'alcool improbables que des drogues plus ou moins douces. Doucement mais sûrement, Sloàan tombait dans la décadence.


24 ANS ; NEW YORK
Petit à petit la dépendance s'installait dans sa vie, prenant de plus en plus de place, détruisant le rythme de la petite famille et la famille tout court d'ailleurs. Les cris étaient nombreux entre Gahis et Sloàan lorsqu'elle rentrait tard complètement déchirée à on ne sait quel alcool ou même drogue. Ca n'avait plus rien à voir avec leurs petites engueulades qui se finissaient souvent par un câlin et un baiser tout doux. C'était violent, cinglant. La plupart du temps, c'est à peine si elle tenait debout et qu'elle arrivait à aligner quelques mots et encore moins à avoir une logique. Gahis avait fini par comprendre qu'elle n'était plus elle-même, que ses sorties l'avaient changée, c'est pour cette raison qu'il l'avait envoyée en rehab quelques temps, et malgré ses pleurs pour qu'il reste près d'elle et ne l'abandonne pas dans cette maison spécialisée, il s'en était allé. Mais visiblement, la désintoxe n'avait pas fonctionné. Pure connerie tout simplement. C'est facile de résister lorsque l'on est pas tenté, loin de tout et coupés du monde, mais le retour à la vie réelle est souvent brutal. Plus de suivi psychologique, la tentation est partout, à chaque coin de rue de Sunset Valley il est possible de trouver de l'alcool. Alors lâchement, elle était retombée dedans malgré ses efforts. La bouteille était une solution facile, plus facile de craquer que de résister, à tel point que son mari n'avait pas supporté de la voir se détruire de cette façon. C'est ainsi qu'un soir, alors qu'elle rentrait pour une énième fois très tard et alcoolisée, il avait pris une décision radicale. Il était parti, embarquant sa fille de même pas un an avec lui sous les yeux de Sloàan totalement désarmée. Elle avait besoin de lui, elle avait besoin d'eux, ils étaient les seules raisons pour laquelle elle s'empêchait parfois de boire, les seules raisons pour qu'elle arrête définitivement, pour qu'elle se batte. Mais ils étaient parti et elle se retrouvait seule dans cette maison affreusement vide. Elle avait tout détruit, pour quelques verres de trop. Les remords la rongeaient, mais il était déjà trop tard.

Ce soir-là elle s'était endormie à même le sol, dans le couloir de l'entrée, les traces de ses larmes sur ses joues. Elle se sentait seule, plus que jamais, elle avait simplement envie de disparaitre pour de bon. Ce n'est qu'une semaine plus tard, sans nouvelles d'elle, que ses parents vinrent chez elle pour une visite à l'improviste. La maison était en un piteux état, leur fille était encore pire. Dans le garage, des cernes comme des poches sous les yeux, elle peignait, encore et encore, sans cesse. Alternant coup de pinceaux et goulot de la bouteille de whisky presque vide. « Sloàan, chérie, est-ce que tout va bien? Qu'est-ce qu'il s'est passé? » Mais Sloàan ne répondait rien, elle peignait, toujours, sans s'arrêter, sans même prendre le temps de leur parler, comme si le monde dépendait de ses coups de pinceaux, comme si sa vie et son avenir en dépendaient plus que tout. « Réponds-moi s'il te plait. » « Je veux peindre, je veux juste peindre. » Elle répétait cette phrase à chaque question, peu importe ce qu'on pouvait lui demander. Elle était obnubilée par sa toile, accumulant les couches de peinture de tristesse, de colère et de rage. Jusqu'à ce que son père l'oblige à tout lâcher, la forçant tant bien que mal à s'éloigner de son tableau devenu noir, sans aucune nuance. « LAISSEZ MOI PEINDRE, JE VEUX JUSTE PEINDRE. » Les derniers mots qu'elle avait prononcés ou plutôt hurlés avant de s'effondrer en pleurs dans les bras de son père. Elle avait tout perdu, il ne lui restait que la peinture, elle ne voulait pas perdre cela non plus. Pendant près d'une demie heure elle avait pleuré à chaudes larmes dans les bras de son père, se balançant dans un rythme irrégulier. Cette semaine sans eux et ses papiers de divorce qu'elle avait reçu avaient fini par l'achever, l'amenant dans un état second que personne ne lui connaissait.

AUJOURD'HUI ; SUNSET VALLEY
C'est ainsi que ses parents prirent la décision de mettre la maison en vente et de rapatrier Sloàan chez eux, à New York, une fois que le divorce fut prononcé et que la garde de Cléo fut attribuée à son père. A l'image de son ex-mari, ses parents l'avaient orientée vers les alcooliques anonymes, constatant avec effroi que leur fille n'était pas que dans un piteux état physique mais aussi psychologique. Suivie par un psychologue interne à la structure des anonymes alcooliques, Sloàan avait également le droit à un parrain à l'extérieur. On pourrait presque croire qu'elle s'était confiée à lui, mais non. Encore aujourd'hui, elle n'avait qu'une relation parrain/filleule avec lui, là où d'autres se seraient vite vu comme des amis. Il aura fallu trois ans et demi à la jeune femme pour se stabiliser, pour retrouver une vie semblable à celle qu'elle pouvait avoir avant de tomber dans l'alcool. Mais il restait ce grand vide à l'intérieur d'elle. Elle n'avait pas oublié Cléo et Gahis, elle pensait à eux chaque jour qu'on voulait bien lui donner. Malgré qu'elle était épanouie professionnellement parlant, cette dernière ayant ouvert sa propre galerie d'art à New York, elle ne pouvait s'empêcher de se dire qu'elle n'était pas à sa place ici auprès de ses parents bien qu'elle vivait de nouveau seule dans un appartement. Sa vie était à Sunset Valley et malgré tous les malheurs que cette ville lui avait apporté, elle avait aussi apporté son lot de bonheur, un gros lot de bonheur qu'elle continuait encore aujourd'hui de regretter. C'est donc dans l'optique de retrouver sa vie d'avant que la jeune femme avait fait des recherches pendant de longues nuits et qu'elle avait fini par retrouver leurs traces. Sunset Valley... elle ignorait si Cléo et Gahis étaient là-bas depuis tout ce temps mais l'adresse la plus récente qu'elle possédait menait à cette ville, encore, elle se devait donc d'essayer. Elle avait cette envie de voir sa fille  parce qu'elle restait la chaire de sa chaire, le sang de son sang. Elle avait envie de revoir Gahis pour lui montrer combien elle a changé. Après tout, voilà trois semaines complètes qu'elle n'a pas touché à une goutte d'alcool. Elle ne savait pas si elle arriverait à aller jusqu'au bout, mais elle se devait de tenter le voyage, quitte à repartir à New York ensuite sans même avoir eu le courage de les voir. Ils lui manquaient, affreusement, et c'est bien en perdant les personnes qu'on se rend compte de leur valeur, et bon sang, c'était dingue comme Gahis et leur fille pouvaient compter pour elle malgré les apparences. C'est ainsi que valise en main, et alliance en pendentif autour du cou, elle atterrissait dans un hôtel de Sunset Valley, bien décidée à leur rendre une visite quitte à se retrouver face à un mur.