Quelque part dans Montsimpa, en plein milieu de l'après-midi. Au bar, plus précisément. Complètement désert, d'ailleurs. Rares sont les quelques clients - les habitués, bien évidemment, ceux présents de l'ouverture à la fermeture, chaque jour de la semaine dimanche compris. Je n'ai jamais porté un engouement tout particulier pour mon travail, mais les après-midi comme celles-là, calmes et sans problèmes sont mes préférées. On peut entendre la musique qui passe au fond et faire le tour de la salle, ranger le désordre de la veille, nettoyer un peu, bref, c'est assez tranquille. Ca change de toutes ces soirées bondées, ces soirées qui regroupent jeunes et moins jeunes, lourds et moins lourds. Étant à peu près le seul bar potable de la ville, les choix sont assez restreints, et les gens se regroupent aux mêmes endroits. Ainsi, vous êtes à tous les coups certains de tomber sur quelqu'un de votre connaissance au Hogan, pour la simple et bonne raison qu'on y trouve toujours du monde. Même cette après-midi où les employés sont censés remettre de l'ordre dans cet endroit, on y trouve tout de même deux ou trois pèlerins en attente d'une bière ou autre alcool plus ou moins fort. Il arrive un moment dans votre carrière de barmaid, où vous pouvez désigner un type de personne présente en fonction de la période de la journée. Le matin, période assez calme où même les barmen sont endormis, vous trouverez surtout ceux avec une véritable vie, ceux qui s'arrêtent boire un café avant d'aller au boulot. Évidemment, on exclue pas les deux ou trois alcooliques notoires et ceux qui vivent à l'inverse de nous, les fêtards et ou les disjonctés qui viennent pour un dernier verre avant d'aller dormir (ou un premier, dans le cas de ma première option). Et tout ça, dans la mesure ou l'endroit est ouvert le matin. Dans l'après-midi, les choses sont un peu plus calmes et pourtant, on y trouve toujours un peu de monde. Que ce soit les solitaires, qui passent une mauvaise journée, ceux qui noient leur chagrin dans l'alcool ou tout simplement ceux qui quittent le travail plus tôt et qui viennent prendre un verre entre amis, les choix sont assez variés. En revanche, en soirée, c'est le regroupement de toutes classes confondues. Des déprimés, aux assoiffés en passant par les gros lourds, les fouteurs de merde, les clients mécontents, ceux en quête d'affection, les fêtards, absolument tout y passe. C'est de loin la partie la plus animée de la soirée, la plus longue également. Parce que je ne compte même plus ceux qui me prennent pour leur mère, leur psychologue, leur petite amie perdue. J'ai l'air de quelqu'un qui veut entendre tous les détails sordides de la vie d'un parfait inconnu ? Alors faites-moi plaisir et allez geindre ailleurs, si j'aurais voulu qu'on me parle des malheurs de tout le monde peut-être bien que je serais restée chez mes parents. Ouais, enfin, je m'égare. Reprenons. Donc en cette fin d'après-midi, on peut s'attendre au rush d'une minute à l'autre. D'ailleurs, ça commence. Je lève la tête et reconnais facilement cette tête que je ne reconnais que trop bien. J'esquisse un sourire puis lance simplement : « Qu'est-ce que ce sera ? »

Dure journée en cours aujourd'hui. Enfin, c'était une journée assez basique et comme toutes les autres mais je m'étais mal réveillé ce matin. Alors j'avais été de mauvaise humeur toute le journée et je m'emportais pour n'importe quoi. Heureusement que ma mauvaise humeur se lisait sur mon visage et que les autres profs me connaissaient car ils avaient évité de m'énerver toute la journée. Tant mieux parce que je ne tenais pas à me prendre la tête avec quelqu'un pour rendre cette journée encore plus mauvaise qu'elle ne l'était déjà. Dès la fin de mes cours, je ne m'attardais pas à l'université pour travailler un peu. J'avais vraiment besoin d'un verre. Je n'avais tenu aujourd'hui que grâce à l'idée que je pourrais aller faire un tour au bar après mes cours. Je savais que les gens avaient des préjugés sur les personnes venant au bar si tôt dans la journée mais aujourd'hui, je m'en fichais. Alors je marchais jusqu'au Hogan dans l'idée de boire quelques verres puis de rentrer et de travailler un peu parce que je n'avais pas vraiment le choix. J'entrais dans le bar qui était assez vide si on oublie les quelques piliers de bar qui sont là de l'ouverture à la fermeture. Je me pose sur un tabouret en face d'une barmaid, Jaizlynn me semble-t-il. « Qu'est-ce que ce sera ? » Je lui souris. « Bonjour à toi aussi rayon de soleil ! » Je la regarde, attendant qu'elle me salue aussi. La politesse ne fait-elle pas partie de leurs obligations aux serveuses ? « Même pas un bonjour alors ? Il me semblait que tu étais plus polie que ça d'habitude. Enfin, je veux bien une bière blonde s'il te plaît Jaizlynn. » dis-je, en appuyant bien sur le "s'il te plaît".

« Bonjour à toi aussi rayon de soleil ! » « Tu m'as l'air de bien bonne humeur... » Je suis étonnée. je le regarde, dubitative, je me demande pourquoi il agit comme ça. Peut-être que ça fait partie des habitudes gaies ? Après tout, qu'est-ce que j'en savais. « Serait-ce une nouvelle conquête ? » Comme si j'avais soudainement compris la raison de sa remarque, un sourire se dessine sur mon visage, comme si j'étais moi aussi dans la confidence. Mais d'ailleurs, quelle confidence ? Pas que je ne le connaisse plus que ça, mais j'avais l'habitude le voir repartir le soir en charmante compagnie. En compagnie... masculine. Il avait beau passer son temps à me prédire le contraire, j'étais certaine de ce que j'avais vu, et à plusieurs reprises, en plus de ça. Finalement, il me demande ce qu'il veut et je fais la grimace en remarquant son insistance. « Haha, très drôle. On a compris, tu es le roi de la courtoisie. » Je baisse le regard quelques instants le temps de lui préparer sa boisson qui d'ailleurs, m'intrigue. Pas qu'on ait pas l'habitude de m'en demander, non bien sûr, mais il s'agissait d'autre chose. « Une bière, tu es sûr ? J'imaginais quelque chose de plus.... Comment dire ? Sucré. » S'il était gay, je ne voyais pas pourquoi il persistait à se cacher derrière tout ça après tout, il pouvait aussi très bien l'assumer. Je ne voyais pas non plus pourquoi il continuait de prétendre le contraire devant moi. Moi, qui l'avait vu rentrer avec d'autres hommes à plusieurs reprises, avec tout ce que je savais sur lui - peu à vrai dire, mais c'était déjà bien suffisant. Il fallait dire aussi, qu'un martini cerise lui irait tellement mieux qu'une simple bière. Mais encore une fois, qu'est-ce que j'y connaissais moi.

« Tu m'as l'air de bien bonne humeur... Serait-ce une nouvelle conquête ? » Je la regarde, surpris. On ne peut pas être de bonne humeur pour une raison autre que l'amour ? Surtout que ce n'est pas du tout le cas. « Une nouvelle conquête ? Non, je suis juste content d'avoir fini de travailler et de pouvoir boire un coup. » Elle est bizarre cette barmaid. Je commande une bière et elle me la prépare. « Une bière, tu es sûr ? J'imaginais quelque chose de plus.... Comment dire ? Sucré. » Hum... elle a fumé quoi pour dire des trucs qui n'ont presque aucun sens ? J'y comprends vraiment rien. On a plus le droit de prendre une bière maintenant ? « Qu'est-ce que tu veux dire ? Je préfère prendre une bière, c'est pas trop mon truc les boissons sucrées. » Je sais pas si elle sous-entends quelque chose mais elle agit bizarrement. Je prends la bière qu'elle me tend et je la regarde. « J'ai le droit de te payer un verre ou bien t'es pas autorisée pendant ton service ? Ça me donnerait trop envie de boire si je travaillais ici. »