ft. joe king

Vincent observe son atelier, pensif. Il passe une main sous son menton, jette un regard au dehors, l'appartement est trop sombre et quelque chose le tracasse dans cette constatation. D'un geste sec, il écarte les rideaux sur le paysage enneigé de la ville, voilà de quoi remplacer les projecteurs dont il manque cruellement, la lumière est parfaite en cette heure de la matinée plutôt avancée. Il s'approche de la baie qui habille le mur de son appartement, glisse un regard contrarié sur les passants en contre-bas, il attend avec une certaine impatience. Le photographe en est persuadé, son modèle viendra, il en est même certain. Personne ne lui a jamais fait défaut, il a la capacité d'enjôler les esprits pour obtenir ce qu'il désire réellement. Même si le jeune homme qu'il a abordé la semaine dernière en boite de nuit semblait réticent face à sa proposition, il en reste profondément convaincu, l'attrait naturel pour la flatterie ne peut que le séduire. L'italien a parfaitement prévu son coup, et n'a cessé de tarir d'éloges le garçon sans pour autant exagérer ou paraître trop intéressé, au delà de la raison professionnelle que camoufle son "éventuel" intérêt. Il croise ainsi les bras, se mord la lèvre en apercevant au loin une silhouette se profiler sur le passage piéton, et un sourire malin s'affiche sur son beau visage. Le voilà enfin. Il reste dos à la porte d'entrée, il attend que les échos de son poing retentisse contre le bois de cette dernière. Une minute passe, sûrement l'ascenseur de l'immeuble qui fait des siennes, il entend des pas significatifs derrière lui et sans prendre la peine de réajuster la mèche de cheveux qui lui barre impunément le front, il se dirige d'un pas tranquille vers le hall d'entrée. Un, deux, trois, il lève les yeux au plafond et actionne la poignet. Sa dernière petite découverte est là, les mains dans les poches sur son paillasson, a priori gêné ou embarrassé. Vincent laisse un rictus amusé s'étaler sur ses lèvres charnues, il l'invite à entrer d'un mouvement de tête, sans dire un mot. Il entend le jeune homme le suivre dans son dos. Il se doute de l'effet que peut provoquer la vue de son studio à première vue. Les murs couvert de photographies en noir et blanc, une luminosité incontestable, un lit défait au centre et des meubles au design épuré remplissent la pièce, l'esthétique atypique de l'appartement en a impressionné plus d'un. L'italien s'empresse alors de lui indiquer le porte manteau pour qu'il puisse y déposer ses affaires. « Fais comme chez toi. Tu veux boire quelque chose, ou tu préfères peut-être que l'on commence maintenant? » Il ne s'est pas encore retourné pour le dévisager plus longtemps. Sérieux, il réajuste son unique projecteur, la langue à la commissure de sa bouche, coincée entre ses dents. Il attend une réponse, elle semble tarder, peut-être hésite-t-il? Il jette un regard en sa direction. « Je sais pas si tu as quelque chose de prévu cet après-midi mais je ne tiens pas à te retenir une éternité si c'est le cas. »

J'étais en retard. J'avais cette fâcheuse manie de toujours me mettre dans des histoires pas possibles quand il ne le fallait pas, c'était certainement une sorte de malédiction due au fait que je faisais exprès de ne pas être à l'heure à mes cours de guitare lorsque j'avais treize ans. Pour ma défense, j'étais jeune, poète et venais de me faire larguer par Tiffany, la pute du collège. Enfin, tout ceci remontait à bien longtemps maintenant. Un cookie entre les dents, une tonne de vêtements ornaient mes bras alors que je courrais dans tout le studio pour ranger mes dernières affaires. Par chance, j’espérais pouvoir attraper le premier taxi dès que j'aurais passé le pallier de ma porte. Je n'étais même pas encore habillé pour vous dire à quel point je faisais les choses à la va-vite. Enfilant rapidement un tee-shirt blanc avec un col en V, un jean classique surmonté d'une ceinture en cuir, et des chaussures Converse basiques bleues claires, j'avalais rapidement mon cookie, me brossais les dents, me coiffais et partais de toute urgence en oubliant presque de fermer la porte à clé. Comme je l'avais imaginé, le taxi que j'avais contacté m'attendait non loin de là, et je pouvais voir mon chauffeur habituel, Jacob, marié trois fois, trois filles, divorcé autant de fois, m'attendant tout en écoutant son CD de Lil Wayne qui de loin ne s'apparentait qu'à un brouhaha inaudible. « Salut, Jack ! » lâchais-je en me précipitant dans sa voiture avant de lui indiquer l'adresse à laquelle je devais me rendre. Oui, j'avais rendez-vous pour une séance photo, orchestrée par un gars que j'avais rencontré lors d'une soirée, à un bar. Pour tout vous dire, j'avais peur de tomber sur une sorte d'escroc ou quelque chose du genre, bien que mon agent n'ait eu aucun mal à identifier le jeune homme. A vrai dire, j'en avais déjà même oublié son prénom, tout ce dont je me souvenais et qu'il avait des yeux incroyablement bleus, qui avait le don de m'intimider plus qu'autre chose. « Dépose moi au coin de la rue, merci man ! » lui refilant le premier billet qui trainait dans mes poches, je quittais ensuite la voiture et trottinais légèrement avant de reprendre ma démarche habituelle histoire que mon retard ne se lise pas sur mon visage. Mais après tout, il suffisait juste d'une simple montre pour le remarquer. Frappant trois fois à sa porte, l'homme ne tarda pas à m'ouvrir. Ses yeux d'un bleu toujours aussi époustouflant. Il m'invita ensuite à entrer. « Fais comme chez toi. Tu veux boire quelque chose, ou tu préfères peut-être que l'on commence maintenant? » me demanda t-il alors que je perdais mon regard sur les nombreuses photos qui ornaient les murs de atelier. « C'est plutôt incroyable tout ça... » lâchais-je plus à moi même qu'au jeune homme avant de secouer la tête et de me retourner vers lui « Je sais pas si tu as quelque chose de prévu cet après-midi mais je ne tiens pas à te retenir une éternité si c'est le cas. » un sourire se dessina sur mes lèvres « Pas de problème, j'ai tout mon temps. » lâchais-je avec une assurance qui se voulait quelque peu exagérée. Pour tout vous dire, j'avais toujours eu horreur des photoshoots. Me retrouver devant la caméra n'avait jamais été une partie de plaisir pour moi, mais malheureusement, c'est bel et bien cela qui payait mon loyer. Mon regard se posa ensuite sur un lit, non loin, à moitié défait. « Les photos seront faites dans quelle pièce ? » lâchais-je alors avec autant d'innocence que possible. Étrangement, je sentais que j'allais passer encore une fois mon après midi à moitié nu. Ça commençait à devenir une habitude.