Elle ne sait pas comment se comporter, alors elle regarde Cooper et s’imprègne de son attitude. Il est stoïque, fier. Et elle voit bien que ça lui plaît, que ça lui avait manqué. Et elle aurait envie de l'accompagner, jusqu'au bout, pourtant elle a juste l'impression de gâcher le moment. Son moment. Alors elle se contente de faire face aux flashs pendant qu'ils la mitraillent, elle qui n'a vraiment rien à faire ici. Elle est mal à l'aise. Elle, une pauvre serveuse, qu'est-ce qu'elle ferait devant les feux des projecteurs ? Et après tout, elle ne fait que penser ce qu'ils doivent tous se dire ce soir. Qui est-elle ? Personne, à part peut-être la nouvelle conquête de leur nouvelle égérie. Elle n'appartient pas à ce monde. Alors elle sourit nerveusement, pour satisfaire leurs esprits affamés, et elle s'accroche au bras de Cooper en espérant qu'il l'a sorte d'ici au plus vite. Elle n'a plus vraiment envie d'être ici, ou nulle part ailleurs. Depuis son retour d'Australie, elle n'a plus envie de grand chose. Elle se contente de répondre aux demandes de Cooper en espérant qu'il n'en fasse pas tout un plat. Ils n'ont pas vraiment reparlé de cette tentative désastreuse d'arranger les choses entre eux, l'autre soir, à l'hôtel. Ils n'en reparleront peut-être pas. Il y a trop de choses à faire, maintenant. Elle part une semaine et tout d'un coup elle doit se rendre aux évènements, aux invitations, aux dîners et soirées sélects. Désormais, elle fait les choses sans y penser, sans réelle envie, du moment qu'elle passe la journée sans trop de problèmes. Et même avec Cooper, rien n'est plus comme avant. Elle sent son bras se resserrer autour de sa taille et ne ressent rien, sauf peut-être une gêne grandissante. Elle essaie, pourtant. Elle ne fait que ça. Chaque fois qu'il a un mot gentil pour elle, elle essaie. Plus fort à chaque fois. Et tout ce qu'il récolte c'est un sourire bafouillé et quelques excuses bredouillées. Jusqu'à la prochaine fois. « Souris Andie, pense à Olive qui doit être en train de nous regarder sur internet. » Et pour la première fois certainement elle sourit, doucement, incertaine. Olive. Elle repense à son amie, elle lui manque. Elle tend un regard vers Cooper, elle veut retrouver leur complicité. Et pendant un moment, elle pense même qu'ils y sont arrivés. A la pensée d'Olive farfouillant sur le net pour trouver le déroulement de leur soirée seconde par seconde, imprimant toutes les photos. A tous les coups, elle viendra toquer chez elle le lendemain pour un compte-rendu détaillé de la soirée. Puis l'éclat qu'elle avait pensé apercevoir dans ses yeux s'envole, peut-être que ce n'était qu'une illusion après tout. « On rentre dans la salle ou tu veux attendre de voir si Georges Clooney va venir ? » Et le voilà, son sauvetage. Elle hoche la tête, soulagée. Puis elle pense à ce qu'il l'attend, et le soulagement devient une boule nerveuse dans l'estomac. « Je vais chercher les pop-corn, je reviens. » Elle s'échappe furtivement quelques minutes, le temps de se ressaisir. Ils sont Andie et Cooper. Et parce qu'il vient tout juste de la présenter comme sa petite-amie officielle, elle se doit d'être la hauteur. Alors elle retourne dans la salle, prête à faire bonne figure. S'ils n'ont plus rien à se dire, même plus de sourire à s'offrir, elle garde au moins l'espoir qu'ils finiront par renaître de leurs cendres.

Son voyage en Australie l'avait atteinte plus que de raison. Elle ne sait même pas pourquoi elle y était allée, au bout du compte. Elle ne savait pas si c'était pour fuir Cooper ou bien simplement parce qu'elle sentait qu'il fallait qu'elle renoue avec ses parents, après tout ce temps. Elle n'était restée qu'une semaine afin d'être certaine que ses parents ne déteignent pas sur elle et pourtant ça n'avait rien changé. Ses parents étaient toujours les mêmes. Avides d'argent, de pouvoir. A ne parler que d'Amanda, et combien elle avait été lâche de tout laisser derrière elle, sans donner de nouvelles. Partir avait été une erreur, mais ce n'était pas nouveau. Elle avait fui chaque chose de sa vie qu'elle appréciait et elle le regrettait amèrement aujourd'hui. Et ses parents n'avaient fait que l'abattre un peu plus, la démoraliser plus qu'elle ne l'était déjà. Ce qui avait eu l'effet de la reporter quatre ans auparavant, à son arrivée à Montsimpa, à cette fille blasée et aigrie qu'elle avait réussi à quitter. « T’étais pas partie chercher du pop-corn ? » Du pop-corn ? Un instant, elle ne comprend pas. Elle était juste partie prendre l'air. Et puis elle se souvient que c'était l'excuse qu'elle avait trouvé pour s’éclipser un moment. Juste un moment, pas trop longtemps pour qu'on ne remarque rien. Même si d'un autre côté, elle savait bien qu'elle ne dupait personne. Et surtout pas Cooper. Mais il fallait être patient, ça reviendrait bien un jour. Ca revenait toujours. « J'ai dû oublier. » Elle regarde ses mains comme le pot de pop-corn risquait d'apparaître d'un instant à l'autre. A sortir des excuses bidons, on finit par se perdre dans ses mensonges. Elle déteste ça. Chercher des excuses, être si proche et si loin de Cooper à la fois. Pourtant c'est comme si elle ne savait plus le faire, comme s'il s'était passé une vie toute entière entre ce qu'ils étaient avant qu'elle ne parte et ce qu'ils étaient devenus. Et elle n'était partie qu'une semaine. « On ira au restaurant après le film si tu veux. » Elle hocha la tête mais l'idée ne l'enchantait pas trop. Alors sa main dans celle de Cooper, la tête posée sur son épaule, elle ferme les yeux et imagine que tout va bien. Elle y croirait presque. « Pourquoi pas. » Au pire, elle prétextera être fatiguée afin d'éviter un nouveau tête-à-tête gênant et silencieux. « Tu m'emmèneras voir ton prochain film ? » demanda-t-elle, curieuse cette fois-ci.

« Tu ne m’as pas raconté ton voyage, c’était bien ? Je n’ai jamais été en Australie, c’est comment ? » Bien ? Non, ce n'était pas bien. C'était terrible. C'était les dîners tout en silence, c'était revoir toutes les personnes qu'elle avait laissé derrière elle, les amis et les voisins. C'était le passé qui l'avait rattrapé et qui ne l'avait plus jamais quittée. Ca n'avait pourtant rien de surprenant. Rien n'avait changé là-bas. La même grande maison, le même quartier. Les mêmes voisins, peut-être différents ragots. Elle n'était plus qu'une inconnue pour tous ces gens qui avaient construit son enfance. Et ils devaient tous savoir, à présent. Qu'elle n'est jamais vraiment partie faire des études à l'étranger, qu'elle n'est pas diplômée d'une grande université. Ils doivent savoir à présent que tout ce qu'elle a su faire depuis tout ce temps c'est foutre sa vie en l'air encore et encore. Pourtant ça ne ternit pas l'image qu'elle garde de son pays natal. Elle adore l'Australie, elle adore Sydney. Elle adore tout à propos de ce pays. Elle aimait la sensation qui la parcourait quand elle était là-bas, le réconfort. C'est chez elle, même si elle ne réussit plus à l'apprécier comme avant. « C'est beau. Tout le monde est gentil, là-bas. Un peu comme ici, en fait. Tu adorerais, j'en suis sûre. » Elle imagine tout à fait Cooper là-bas, se fondant dans la masse. De toute façon, il est plutôt du genre à s'adapter à n'importe quel type de situation. Il lui avait manqué. Beaucoup. Mais même maintenant qu'ils étaient de nouveau ensemble elle n'avait pas tout à fait l'impression de l'avoir retrouvé complètement. « Et puis, tu savais que tu étais connu là-bas aussi ? Je viens juste de l'apprendre. » Le sujet lui fait retrouver un soudain intérêt pour la soirée. C'était comme si tout d'un coup, elle n'avait plus à se forcer. Pourtant elle savait que ce ne serait que de courte durée et elle essayait tant bien que mal de profiter de cet élan tant qu'il était encore là. « Les surfeurs sont pas mal non plus. » Elle tente avec humour, retrouvant furtivement le sourire. Les surfeurs, les paysages, les gens. C'est tout ce dont elle a envie de parler à propos de son voyage. Elle ne veut parler que du côté positif, pas de ce qui la repousse à propos de l'Australie. Ses parents, Amanda. Non, c'est très bien comme ça. Et puis, moins Cooper en sait à propos d'eux, mieux il se porte, pas vrai ? « Sérieux, tu devrais y aller un jour. » Ou elle pourrait y aller avec lui. Il est peut-être un peu tôt dans leur relation pour aborder le sujet alors elle se contente de ne rien dire. Elle sait à peine où ils en sont réellement, maintenant que tout est si étrange entre eux. Elle préfère ne pas y penser pour l'instant.

C'était comme si la salle plongée dans l'obscurité leur donnait une sorte d'intimité. Ils n'en avaient pas eu beaucoup, ces derniers temps. Andie avait plutôt passé son temps à l'éviter, à trouver des excuses. Tout y était passé. Les sorties jusque tard le soir, les services enchaînés au Hogan. D'autres fois, Cooper était simplement sur le tournage de son nouveau film jusqu'à pas d'heures, ce qui l'arrangeait, il fallait bien le dire. Et même quand elle avait été là, elle ne l'était pas vraiment. Mais il fallait que ça change. Elle devait se forcer. Jamais elle n'aurait pensé être dans cette situation à nouveau. Se forcer à sourire, se forcer à croire que tout va bien. Cooper l'aidait beaucoup sur ce point. Elle voulait tellement être à la hauteur, être celle qu'il connaissait. Et parfois elle avait presque l'impression d'y arriver, de retrouver ce qu'elle avait laissé en Australie, mais là encore elle se berçait d'illusions. Quelque chose - elle ne savait pas encore quoi - l'en empêchait tout simplement. « Et on t’a cru quand tu as dit que tu sortais avec moi ? » Elle détourna le regard une seconde, honteuse, coupable. Elle ne savait pas comment lui dire. Elle ne savait pas lui dire qu'elle n'avait parlé de Cooper à personne, que sa famille, ses amis, n'étaient pas au courant de leur relation. Pas parce qu'elle n'en avait pas envie, pas parce qu'elle ne voulait pas que ça se sache. Personne ne s'était réellement intéressé à elle là-bas, ni à elle, encore moins à ses relations, à sa vie à Montsimpa. Elle était redevenue une étrangère, n'appartenant plus à Sydney, mais elle n'avait pas non plus le sentiment d'être chez elle à Montsimpa. Elle errait quelque part entre les deux. « Personne ne m'a crue. » Elle sourit doucement en espérant qu'il ne pose pas plus de questions. Elle ne voulait pas lui faire de peine, d'autant plus qu'elle avait plus l'impression d'être un fardeau qu'autre chose, en ce moment. Et elle aurait été ravie de parler de Cooper à ses parents s'ils s'étaient intéressés à sa nouvelle vie. Et même si elle l'aurait mentionné, elle doute qu'on l'aurait crue sur parole. « S’il y a une avant-première de mon film à Sydney, je t’y emmènerais ? Je suis sûr qu’il n’y a pas meilleure guide que toi. » Elle sourit, voyant qu'ils avaient eu la même idée. Elle hocha la tête, sûre d'elle cette fois-ci. L'idée lui plaisait réellement, lui donnait déjà envie. « Ca me paraît être une bonne idée. » Pendant un instant il lui sembla que la conversation était terminée, qu'ils retourneraient chacun à leur mutisme jusqu'à la fin du film. Elle voulait profiter de ce moment pour continuer à parler, même si c'était pour des choses sans importance. N'importe quelle parole valait mieux que pas de parole du tout. « Comment se passe le tournage ? » Elle était tellement concentrée sur elle-même qu'elle avait à peine pensé à Cooper, à ce qu'il avait bien pu faire pendant son voyage. Et même si elle savait qu'il avait commencé le tournage de son prochain film, elle ne savait même pas à quoi il passait ses journées, s'il aimait ça, être acteur à nouveau.

Le film a dû commencer maintenant, mais elle ne le sait pas avec certitude puisqu'elle n'a pas encore jeté un coup d'oeil à l'écran. Tant pis, de toute façon, ce film, elle n'avait pas vraiment envie de le voir. Elle préfère discuter avec Cooper, prétendre qu'elle vient juste de rentrer d'Australie et qu'ils n'ont pas passé les derniers jours à s'ignorer, dans une dernière tentative de recoller les morceaux. Et ça semble marcher. Elle redoute le moment où ils devront se taire à nouveau, où quelqu'un finira par se lever pour leur demander de la fermer parce que leurs efforts tomberont à l'eau. Ils se terreront dans leur silence et n'auront plus rien à se dire. Jusqu'à quand ? Elle ne veut pas y penser. En attendant, elle n'a même plus besoin de se forcer, elle prolonge la conversation presque naturellement. C'est rassurant. Et mieux encore, plutôt encourageant. « Plutôt pas mal du tout. Enfin la star du film, c’est une peste capricieuse et je ne la trouve même pas si bonne que ça. Mais je n’ai pas fait le casting alors je n’y peux rien. Mais sinon, dès qu’elle se réfugie dans sa caravane pour faire la gueule, l’ambiance est excellente sur le plateau. » Elle sourit doucement. C'est tout ce qu'elle demande après tout, que Cooper réussisse. Ce n'est pas son rôle, après tout ? Être présente à ses côtés, le soutenir. Et elle en a envie, de toutes ces choses, du moment que c'est ce que Cooper veut aussi. « Tant mieux. Je suis contente que tu retrouves le goût de jouer. » Et elle le pense. Au moins l'un deux réussit. L'un deux a toujours un bel avenir devant lui. Mais à l'entendre parler, elle est en certaine, elle a confiance, le monde assiste à son grand retour. « Je suis vraiment fière de toi, Coop. » Sa main caresse son visage et glisse dans son cou. Elle ferme les yeux, rien qu'un instant, chaque chose lui semble là où elle est censée être. Et si pendant quelques secondes, aucun d'eux ne parle, ce n'est plus un silence inconfortable. « Et puis il y a une actrice, toute jeune, elle doit même pas avoir dix-huit ans. Mais à mon avis, elle a une carrière énorme qui l’attend. Et surtout, elle est vraiment gentille, naturelle. Un vrai rayon de soleil. Je te la présenterais. » Elle pourrait l'écouter parler toute la journée, de son rôle, du tournage, de sa carrière. C'est certainement la première fois qu'elle voit Cooper aussi heureux. Ca lui semble étrange pendant un instant mais finalement elle pourrait presque reconnaître un air familier. L'expression lui va si bien.

« J’ai besoin d’air, pas toi ? » Je le regarde, un peu surprise alors qu'il nous fraye déjà un chemin à travers les sièges et les invités mécontents. Moi qui pensais qu'on y était enfin arrivé, à recoller les morceaux, à rattraper le temps perdu. Je ne voulais pas retourner à ce qui nous attendait, là dehors. Là où on ne sait même plus comment prétendre. Mais on y va quand même, parce que c'est comme ça, parce qu'il faudra bien y retourner un jour et qu'on ne fait que précipiter ce qui nous attend au bout du chemin. « Je ne sais pas ce que j’ai fait pour mériter une femme comme toi. Tu es tellement magnifique. » Je souris, embarrassée par tant de flatterie. Il a changé. Ou peut-être que j'ai changé avec lui. Je repense à nos débuts, à la façon dont absolument rien ne ressemble à ce qu'on vit aujourd'hui alors que ma tête se pose contre la sienne. « Ca doit être ta bonne étoile. » lançais-je en écho de sa voix. Je crois pas vraiment à tous ces trucs, la bonne étoile, l'ange gardien, le destin. On décide de nos actes après tout. Tout le reste, c'est juste un tas de conneries sur lesquelles rejeter la faute quand on fout tout en l'air. « Et pourtant, tu n’es plus la même. Dis-moi ce qui t’arrive. Que je puisse t’aider parce que je ne demande que ça. » Et puis voilà, c'est comme ça, à peine sortis, il faut qu'il aborde le sujet, pour qu'on se dispute encore ou je ne sais pas. C'est la première fois depuis que je suis rentrée, et pourtant ça sonne comme si c'était tout ce dont on avait parlé ces derniers jours. Et la dernière chose que je veux faire, c'est l'inquiéter. « C'est rien, ne t'en fais pas. » J'essaye de le rassurer comme je peux même si je sais que je suis pas la plus convaincante. Pourtant il se fait plus insistant et j'ai juste envie qu'il laisse tomber. On aura tout le temps d'en parler plus tard, ou justement d'éviter le sujet aussi longtemps que possible. « Je ne veux pas en parler, d'accord ? » Mon ton se fit plus sec et j'eus soudain envie de m'excuser, de me blottir contre lui en nous persuadant que tout irait bien. Je voulais juste qu'on oublie tout ça, qu'on retourne à l'intérieur où tout semblait meilleur. Ici, c'était le retour à la réalité, le retour à l'ignorance et aux regrets. Ca n'avait rien de bon, ça ne nous réussissait pas. Je m'éloigne un peu, presque involontairement et détourne le regard. « On ferait mieux de rentrer. » repris-je doucement en levant doucement la tête, questionnant à peine Cooper. A ce stade, je ne savais même plus si on devait rentrer ensemble ou non. Mais on ne pouvait plus rester ici. Ici c'était le mal, c'était tout ce qu'on ne voulait pas affronter. Rentrer était la meilleure solution. C'était tout ce qu'il nous restait à faire, de toute façon. Nous glisser au lit à attendre que la nuit n'emporte ce qu'il reste de nous.