Deux heures. Maureen avait passé une soirée relativement tranquille, elle avait commencé une nouvelle toile, rien d'extraordinaire. Elle avait peint jusqu'à ce qu'elle sente la fatigue arriver. Elle avait été vérifier si sa mère voulait quelque chose - ce qui l'aurait franchement étonnée - mais n'ayant pas de réponse, elle avait simplement pensé qu'elle dormait. Plusieurs heures plus tard, un bruit sourd la réveilla en sursaut, suivi d'un autre. Un bruit qui provenait de l'étage du dessous, autrement dit, son entrée. Elle était pourtant certaine d'avoir fermé la porte à double tour. Et voilà que quelqu'un semblait s'introduire chez elle. Soudain prise de panique, sa première réaction fut de disparaître sous les couvertures. Son corps se crispa, elle devint muette. Elle hésitait même jusqu'à respirer, de peur qu'on l'entende. Et puis un vacarme monstre. C'était idiot. Qui/quoi que ce soit qui avait causé tout ce bruit, elle était capable de se défendre. Elle était prête à utiliser la manière forte - c'est-à-dire, une prise de karaté plutôt risquée qu'elle n'avait jamais pratiqué mais qu'elle s'imaginait tout à fait réussir dans son esprit. Et puis elle n'allait pas laisser un possible assassin venir la tuer sans tenter d'y échapper. Alors elle s'arma de la première chose qui lui tombait sous la main - une bombe de peinture - et s'élança à la poursuite de l'intrus. Après avoir descendu deux marches de ses membres tremblants, elle se demanda ce qu'elle comptait faire, dans l'obscurité, sans même avoir de quoi réellement se défendre. « Qui est là ? » chuchota-t-elle avec sévérité. Elle ne savait même pas pourquoi est-ce qu'elle parlait si bas. Si c'était pour ne pas réveiller sa mère, c'était peut-être un peu trop tard, elle était certaine que même les voisins avaient été réveillés par tout ce bruit. Pourtant, elle n'eut aucune réponse. Alors elle tenta une autre approche. « Je suis armée ! » L'inconnu ne devait pas être très loin puisqu'il semblait l'avoir entendue. Son bluff devait avoir fonctionné car il lui s'adressa même à elle. « Maureen ? » Et il connaissait même son prénom. Intriguée, elle cru bien reconnaître la seule personne qui pouvait bien s’infiltrer chez elle en pleine nuit. « Isaes ? » Elle ne comprenait pas. Si c'était bien lui, c'était bien tout un désordre inutile, il lui aurait suffit d'entrer en discrétion et de la rejoindre dans sa chambre. Maureen remonta les quelques marches pour atteindre l'interrupteur, et c'est bien la vision de son petit-ami qu'elle avait devant elle, étalé de tout son long parmi les bibelots qui reposaient sur ce qui était jadis une étagère. « Mais qu'est-ce que tu fais ? » Encore sous le choc, elle ne pensa même pas à demander s'il s'était blessé. Pourtant, elle connaissait assez bien Isaes pour savoir qu'il ne répondrait sûrement pas à ses interrogations. Il trouverait sans doute milles excuses qu'elle accepterait une nouvelle fois sans rechigner.

Ce n'était qu'Isaes, elle pouvait se calmer. Isaes, elle en était certaine maintenant qu'elle l'avait sous les yeux. Une fois la frayeur passée, elle était heureuse qu'il soit venue la rejoindre, même si elle avait connu mieux comme réveil. Le soulagement s'était emparé d'elle si soudainement qu'elle avait l'impression de pouvoir voler. C'était à peu près cette même sensation qu'elle ressentait quand il était dans les parages. Alors qu'il se levait, elle descendit rapidement le reste des marches et en profita pour venir le rejoindre, posant la-dite arme dans un coin. « Tu n'as rien ? » Prévenante, sa main glissa sur son visage, elle le stoppa sans doute dans son intention de ranger le désordre bien qu'elle appréciait le geste. Elle avait beau ne plus sentir le sommeil venir, c'était toujours le beau milieu de la nuit. Ils auraient tout le temps de s'en occuper plus tard. « Je n'ai pas fait exprès. » Il ne lui fallait pas plus que l'expression d'enfant désolé d'Isaes pour qu'elle oublie tout ce qu'il venait de se passer. Frissonnant au contact de ses doigts sur ses hanches, ses mains se nouèrent derrière sa nuque alors qu'elle le saluait d'un doux baiser. « C'est dommage, je réfléchissais justement à ta punition. » Amusée à son tour, Maureen se laissa envahir par le réconfort que lui apportait Isaes, abandonnée par l'adrénaline. Oui, elle pouvait tout oublier. Elle oubliait la peur et l'insécurité, elle oubliait même avoir manqué d’assommer Isaes d'un coup de bombe à peinture. Parce que rien n'était plus important que cette soirée, eux, tous les deux, sur le palier de la porte. « Ta mère me le pardonneras, tu crois ? ... D'avoir cassé son vase ? » Elle ne put s'empêcher de rire doucement. Si elle lui pardonnerait ? Il fallait déjà qu'elle le remarque. Or, tout ce que Maureen remarquait ces derniers temps était que sa mère refusait toujours de quitter la chambre. « Si elle le remarque. Elle se souvient à peine de la couleur des rideaux. » Son sourire s'évanouit un instant mais revint de plus belle lorsqu'Isaes tenta de lui changer les idées. « Et puis tu sais bien qu'elle t'adore. » Elle ne voyait pas comment il en était possible autrement, de toute façon. Elle ne pensait pas qu'on soit capable de ne pas l'aimer. C'était comme ça, tout le monde l'aimait. C'était immédiat. Elle-même n'avait pas su y résister.

« On monte ? Je rangerais mes dégâts demain matin » Elle hocha la tête et se laissa guider jusqu'à sa chambre, un chemin qu'elle ne connaissait pourtant que trop bien. C'était dans cet endroit qu'elle passait le plus clair de son temps, pour peindre, quand Isaes décidait de la rejoindre après son boulot et quand ils ne passaient pas la nuit chez lui. Elle aimait leurs habitudes parce qu'ils se débrouillaient d'une façon ou d'une autre pour ne pas en faire une routine. Après tout, parfois, Isaes arrivait en pleine nuit et fracassait son entrée et avec le recul, elle trouvait toujours ça amusant. « Câlin ? » Maureen s'approcha immédiatement, profitant qu'il soit encore assis pour se glisser entre ses jambes. Et même encore maintenant, elle n'était pas beaucoup plus grande que lui. Ils restèrent un instant sans parler et Maureen qui appréciait le calme paisible qui régnait, observa Isaes un moment et ses iris qui brillaient malgré l'obscurité. Pourtant elle pouvait sentir que tout n'était pas habituel. C'était Isaes. Il était différent, presque fuyant. Et pour la première fois, elle ne savait pas ce qui le tracassait. « Tu veux m'en parler ? » demanda-t-elle doucement. Les mots n'étaient parfois pas nécessaires, elle savait le reconnaître lorsqu'il était ailleurs. Comme ce soir. Pendant un instant, elle tenta de deviner ses pensées. Etait-ce sa demi-soeur qu'il avait mentionné plus tôt qui le préoccupait tant ? Cette demi-soeur avec qui, curieusement, il avait du mal à s'entendre, enfin c'était ce qu'avait cru comprendre Maureen de leur relation qu'il n'évoquait jamais. Ou bien peut-être s'agissait-il simplement d'une mauvaise journée. Passant la main dans les cheveux du jeune homme dans le simple but de l'attendrir, Maureen voulait qu'il se sente libre de tout lui confier. « A moins que tu ne préfères que je te change les idées. » reprit-elle, un sourire taquin au visage alors que ses lèvres se scellèrent à nouveau aux siennes.

« Je vais bien ... » Elle avait du mal à y croire. Pourtant elle ne voulait pas insister. Il lui parlerait quand il en aurait envie. Elle avait appris qu'en forçant les choses, on obtenait rarement le résultat attendu. En attendant, elle se contenterait de le réconforter du mieux qu'elle pouvait, c'était ce qu'elle avait toujours fait. Elle prit place sur le lit aux côtés d'Isaes, caressant sa joue alors que ses doigts qui la chatouillaient lui décrochèrent un sourire amusé. « Parles-moi de ta journée, de ce que tu as fais, des personnes que tu as vu » Surprise, elle se laissa prendre au jeu, même si ce qu'elle avait à raconter était loin d'être passionant. A première vue, elle avait passé une aussi mauvaise journée que lui, même si elle peinait toujours à savoir ce qui pouvait bien occuper son esprit. Mais elle était heureuse de l'avoir tout près d'elle, se laissant aller à sa présence réconfortante, soudain libérée de toutes ses inquiétudes. « Leo a encore fait des siennes. » Elle sourit doucement, comme si ce n'était pas important. Elle savait très bien comment agissait son frère, avec lui, c'était souvent tout, ou rien. Et quand il était dans ses humeurs Maureen n'avait souvent pas d'autre choix que de le laisser partir. Il était peut-être encore jeune, mais il avait déjà bien plus de force qu'elle n'en avait jamais eu. « Et Maman sort de moins en moins de sa chambre. » Sa vie familiale prenait des airs de déception ces derniers temps. Et elle ne pouvait rien y faire pour tenter d'arranger ça. Tout ce dont elle avait l'impression, c'était d'être là pour éviter la casse uniquement, sans réellement arranger les choses. Mais elle devait prendre soin de sa famille depuis que son père les avait laissé, puisque personne d'autre n'était là pour le faire. « Tu crois que tu pourrais essayer, demain ? » Elle s'en voulait de lui demander une telle chose, se sentant soudain ridicule alors qu'il devait certainement avoir un millier d'autres choses à s'occuper. Le comportement de sa mère l'attristait. Et si en général elle préférait gérer ces choses-là d'elle-même, peut-être qu'Isaes réussirait à la raisonner si elle-même n'y arrivait pas. Enfouissant sa tête dans le coup d'Isaes, elle laissa son corps entier se détendre, après tout, tout ce dont elle avait besoin se trouvait déjà à sa portée.