Une autre longue journée qu’il voit mourir derrière la ville de Sunset Valley. Il marche vers chez lui, une clope pendue aux lèvres. C’est le genre de journée qu’on flinguerait, et il compte bien se pieuter directement en arrivant, histoire de voir demain arriver plus vite. Mais alors qu’il tourne le coin d’une rue, il percute violemment quelqu’un, un quelqu’un qui tombe par terre sans plus de cérémonie. En se penchant pour l’aider à se relever, il fige, reconnaissant sans difficulté le visage légèrement ensanglanté du garçon. Shayn? dit-il, surpris. Le principal concerné lève finalement les yeux vers lui, et un petit sourire étire sa lèvre rougie par le sang. Docteur Bay, répond-il en agrippant la main du psychologue. Et oui, Shayn Hemingway est son patient de deux heures et demie, ce jeune de dix-neuf ans qu’il voit depuis deux mois maintenant parce que son grand frère lui a demandé. Aujourd’hui encore, leur rencontre fut peu productive, puisque le blond se contente généralement de lui raconter des trucs insignifiants, comme ses rêves, par exemple. Qu’est-ce qui t’es arrivé? demande-t-il, visiblement curieux. L’autre secoue la tête, sans perdre son petit sourire qui est presque… moqueur. Pas du tout le genre d’expression qu’il est habitué de voir chez son patient. Vous n’êtes pas sur votre heure payée, docteur. Gardez vos questions pour notre séance de la semaine prochaine, réplique rapidement Shayn avant de s’éloigner, titubant légèrement. C’est à ce moment que le déclic se fait dans la tête du psy. Le jeune est complètement bourré. Shayn, attends!

Il ne sait pas exactement comment il a fait, mais il a réussit à amener le blond chez lui. Il lui a refilé des vêtements propres (un peu grand, mais on fait avec les moyens du bord), ainsi que quelques trucs et pansements pour se nettoyer et se remettre aussi beau qu’un sous neuf. T’es pas si mal, comme psy, finalement, lui lance Shayn avant de prendre une gorgée de chocolat chaud. Merci, ajoute-t-il avec un petit sourire qui lui ressemble bien plus que celui de tout à l’heure. Assis un en face de l’autre, ils parlent quelques minutes encore avant que le jeune décide qu’il est assez tard. Laisse-moi te ramener, histoire que je puisse dormir sur mes deux oreilles. Avec la gueule que t’avais tout à l’heure, j’peux pas te laisser partir sans escorte, insiste l’homme plus vieux, tout en suivant Shayn dans le corridor. Ce dernier se retourne vers lui, tripotant ses mains ensemble. Un geste qu’il fait souvent pendant leurs séances, signe de sa nervosité. Ça va, vraiment. C’est mon… mon ex petit copain, j’crois pas qu’il reviendra, répond-il lentement, et Bay ne peut s’empêcher de penser qu’il cache quelque chose. Il décide de ne pas insister, même si, intérieurement, il bouillonne de joie. Pour la première fois en deux mois, le blond vient de lui dire quelque chose de concret. Une fois les au revoir lancés, il ferme la porte et se retourne en levant un poing dans les airs. Finalement, c’est le genre de journée qu’on embrasserait. Putain ce qu’il a hâte à son prochain rendez-vous de deux heures et demie.

Finalement, c’est un mal pour un bien. Cet incident lui a permis l’ouverture d’une porte, entre Shayn et lui. Il pensait que ça l’aiderait à comprendre un peu mieux ce petit orphelin, mais jamais il aurait pensé qu’il s’y investirait autant. Maintenant, il est prisonnier. À toujours vouloir en apprendre davantage, à réagir comme un fan fait devant sa série de télévision favorite. Il ressent trop, il a franchit la limite du professionnalisme. Pourtant, il ne fait aucun pas en arrière, même pas quand le blond lui montre les dents. C’est un jeune perdu, à la recherche de sa propre personnalité. Il est timide, bien dans la bulle de protection que lui offre son grand frère. Mais depuis que ses amis d’enfance sont revenus, il commence à changer, à se métamorphoser. Et Bay se rend compte qu’il n’aime pas ça, pas du tout. Oh, il veut voir le blond s’épanouir et ouvrir ses pétales comme une fleur au soleil. Seulement, le psy voudrait couper les épines au fur et à mesure qu’elles poussent sur le corps qui semble normalement si doux. Au lieu de l’aider avec sa psychologie, il amène ses propres opinions, il espère le voir prendre le bon chemin, en oubliant qu’il a perdu le sien. Il voudrait aussi qu’il comprenne que l’amour, ça ne fait pas si mal. Qu’il n’a plus besoin de ses mecs perturbés, ni de cette fille qui le brise un peu plus chaque jour. Parfois, il voudrait lui montrer, et là, il réalise à quel point il va trop loin. Mais n’est-il pas déjà trop tard?

Il n'y a rien de mal avec toi, Shayn, chuchote son psychologue en secouant doucement la tête. Si, et ce mal, c'est moi, rétorque-t-il avant de quitter la pièce.