« Quand on vous demande de raconter votre histoire, il y a toujours un moment où vous vous demandez ce que vous allez bien pouvoir dire, un moment où votre vie vous semble sans intérêt, ou trop banale peut-être. On se dit qu’elle ressemble comme deux gouttes d’eau à celle de notre voisin, ce genre de choses… Et pourtant, on oublie tout les petits détails qui font de notre vie quelque chose d’unique. Alors bien sûr, maintenant vous pouvez continuer à penser que vous ne valez pas plus l’attention qu’un autre, ou alors vous pouvez prendre un papier et un crayon et commencer à écrire des mots, des phrases, tout ce qui vous vient en tête sur vous, votre personne, votre caractère, etc. »

Je posais le livre que j’avais en main sur la table basse, à côté de moi. Je l’avais trouvé quelques jours plus tôt, en fouillant le grenier de ma nouvelle maison, encore inexploré jusqu’à maintenant. Ces derniers mots qui avaient réussi à m’arracher des pensées un peu plus poussées que d’ordinaire. Je n’avais jamais été du genre très philosophique, ou à me poser tout un tas de questions sur des choses existentielles. Non, je suis plutôt du genre à vivre la vie au jour le jour, voir où elle me mène, ce que je peux en tirer, etc. Et pourtant, voilà où j’en étais en ce mardi après-midi bien calme du mois de novembre 2011, installé dans le canapé du salon à lire un livre. Je n’avais jamais songé à raconter ma vie, ni à écrire dessus d’ailleurs mais en même temps, ce n’est pas comme si quelqu’un m’avait déjà demandé de le faire. C’est à ce moment là que je me mis à réfléchir à ce que je pourrais mettre sur ce fameux papier. Mes premières pensées furent sans doute les plus simples et les plus futiles comme le fait que je ne mettes jamais les deux mêmes chaussettes, ou que je cuisine comme un chef mais que personne ne le sait car c’est mon petit secret. Suivirent les choses un peu plus essentielles comme le fait que je sois né à Dublin en Irlande, que je n’ai jamais vraiment été amoureux, que je vis dans la ville depuis seulement quelques mois…

Soudain mon téléphone portable vibra dans la poche de mon pantalon, ce qui me fit sursauter et sortir aussitôt de mes rêveries. Je pris le petit objet dans ma main afin de voir qui pouvait bien m’avoir envoyé un message à cette heure. Un nom s’afficha : Adrian. Je fis une grimace en ouvrant le sms. Le jeune homme avait été pendant longtemps mon meilleur ami, à la vie à la mort comme nous avions l’habitude de nous le dire. Malheureusement, nos chemins se sont séparés quelques années auparavant, suite à différents désaccords. Malgré le temps qui passe, le monsieur ne semble pas comprendre que je ne souhaite pas rester en contact avec lui. Néanmoins, là, le sujet était plus grave, car je venais juste de lire des mots que je n’appréciais vraiment pas. « Mec, ton père est de retour en ville. Il veut te voir ! » Une chance pour moi, personne ne sait ma nouvelle adresse, ou très peu de monde en tout cas. Si le fait de savoir que mon père est à Dublin me répugne autant, c’est tout simplement que je ne le connais pas. Voyez-vous, ma mère m’a élevé seule. Mon père est parti de la maison alors que je n’avais que deux ans. Alcoolique depuis déjà trop longtemps, il avait promis de faire des efforts à ma naissance mais malheureusement, il ne teint pas cette promesse bien longtemps. Je ne l’ai jamais revu depuis ce jour, ni ma mère d’ailleurs. Il y avait tout de même quelques années où je recevais des lettres pour Noel ou encore mon anniversaire mais rien de plus. Je ne demandais jamais plus d’explications à ma mère que le strict nécessaire au sujet de cet être malveillant. Ce dont j’étais sûr, c’est que je ne souhaitais pas du tout le rencontrer et encore moins apprendre à le connaitre !

Je remis bientôt l’appareil dans ma poche avant de me lever pour me diriger vers la cuisine. C’est là que je me servis une bière. J’avais emménagé quatre mois plus tôt, un certain laps de temps qui ne m’avait pourtant pas suffit à m’habituer à fond aux lieux et à la ville. J’avais hérité de cette maison un an plus tôt, à la mort de ma grand-mère maternelle. Ma mère avait insisté pour que je viennes vivre ici, m’éloigner de chez elle, de toutes mes anciennes fréquentations qu’elle ne supportait plus, de ma vie en général en bref, pour avoir un nouveau départ. Je n’avais pas voulu pendant un temps, et puis voyant que les choses commençaient à vraiment mal tourner pour moi à Dublin, j’avais décidé de déménagé, comme ça, du jour au lendemain. Ma vie à Dublin avait tendance à me manquer parfois mais ici, j’avais pris un nouveau départ. J’avais repris mes études, abandonnées depuis deux ans maintenant, des études dans la finance, un domaine qui m’avait toujours intéressé sans pour autant me passionner. J’avais également trouvé un petit boulot dans un sex shop. Je n’en suis pas spécialement fier mais j’ai pris la première chose que j’ai trouvé… Et voilà, aujourd’hui la routine commence à s’installer. Mais en tout cas, en venant ici, je ne m’attendais pas du tout à retrouver une ancienne connaissance de Dublin…