« Oui oui oui, Enzo a été particulièrement sage, j’ai même pas eu à le mettre au coin cette après-midi. Hein Zozo ? » Ce qu’il y a de bien chez l’enfant, c’est qu’il possède ce don de très rapidement nous extirper du monde des adultes. La garderie n’allait pas tarder à fermer, et comme tous les soirs j’attendais les derniers parents qui revenaient chercher leurs bambins. Veinards. Face à moi, la mère du petit Enzo, la terreur des bacs à sable. A mes côtés, son bout d’chou qui était entrain d’exposer tout fier l’étoile de la Bonne Conduite collée sur son tee-shirt. Esquissant un vague sourire, je passais une main dans les cheveux de mon protégé avant de le rendre à sa génitrice. Quelques brèves paroles échangées à ses côtés, et je refermais enfin la porte derrière eux. Ayé. Journée terminée, et il était 19h tout pile. En même temps que s’achevait mon boulot, je retrouvais la triste mélancolie qui m’imprégnait chaque fois que j’osais me retrouver en compagnie de dame solitude. Seul dans ma voiture. Seul dans mon petit chez-moi. Je franchissais d’un pas las l’entrée de ma maison en soupirant un coup. Bien entendu, personne pour m’accueillir si ce n’est une brise glaciale qui venait me glacer le dos avant que je ne referme la porte. Et tous les jours, il en était ainsi. A croire que j’allais finir par me perdre dans cette éternelle monotonie des choses. Autour de moi, j’avais la désagréable impression que tout marchait au ralenti dès lors que je me retrouvais sans la moindre compagnie. Mes pensées vagabondaient dangereusement. Je revoyais Océane, qui autrefois m’aurait littéralement sauté dessus, pour me prendre dans ses bras. Je revoyais nos sourires de jeunes adolescents. Le cœur congelé, mais néanmoins légèrement apaisé par ces simples souvenirs. Je pouvais encore sentir la douce chaleur de ses lèvres réchauffant les miennes. Mauvais plan. Très mauvais plan. Secouant brièvement le visage, j’ai alors daigné m’emparer de mon téléphone portable. Quel jour étions-nous déjà ? Merde, samedi ? Bonne nouvelle dans le fond, sale nouvelle si on remontait à ce qu’il s’était produit le week-end dernier. La tradition du samedi soir obligeait : c’était chasse aux fantômes en compagnie de Norah. Une personne plus qu’adorable. Une compagnie que j’appréciais au plus haut point.. à un détail près : sa fâcheuse ressemblance avec ma défunte fiancée. Chaque fois que j’osais poser les yeux sur elle, c’était ma promise que je revoyais, et non mon amie. Un détail un tantinet embêtant, et qui d’ailleurs avait pris bien plus d’ampleur que je n’aurais pu l’imaginer la semaine passée. Mais passons. Chassant tout souvenir contraignant, je pianotais quelques instants sur mon cellulaire à la recherche de son prénom. Norah, Norah.. ah la voici la voilà. L’instant suivant, je collais le téléphone contre mon oreille tout en renfilant ma propre veste d’une main. Premier Bip. Second Bip. Et elle décrocha enfin. « Norah ? C’est toujours ok pour ce soir hum ? Je t’attendrai au cimetière comme prévu. Par contre j’te préviens, j’ai rien mangé, alors j’ai la dalle et on pique-niquera avec les morts ! » Sans attendre la moindre réponse, je raccrochais, la banane accrochée sur les lèvres. J’étais déjà pas en avance, alors si j’voulais m’arrêter chercher un frite-kebab, c’était maintenant ou jamais. D’autant plus que j’étais quasi certain que la brunette ne manquerait pas une occasion de m’engueuler si jamais j’arrivais en retard. Soit. En route.

Une quinzaine de minutes de minutes plus tard, voilà que je me retrouvais devant les grilles du cimetière à faire les cents pas. La nuit était fraiche, mais le vent absent. Toutefois… la brume qui surplombait la nécropole n’avait rien de très rassurant. J’essayais d’ailleurs tant bien que mal de ne pas me focaliser sur les bruits de branches craquées que j’entendais au loin. Froussard ? Certainement pas. Juste un peu parano’… Et d’un autre côté, comment ne pas l’être lorsqu’on va à la chasse aux zombis tous les samedi soir ? Jusqu’à présent, nous n’avions malheureusement –ou heureusement ?- pas eu la chance de croiser le moindre être surnaturel. Toutefois, les nuits s’avéraient bien souvent être riches en surprises et imprévus. Rien que le week end dernier, devoir dormir dans un manoir réputé pour être le plus hanté du coin… Merci, mais non merci. Et le pire dans l’histoire, c’est que ce soir-là, on pouvait dire que ma relation avec Norah avait pris une toute nouvelle tournure. Pas désagréable pour autant, mais pour le moins.. dérangeant. Oui bon, je suis de la vieille école, so what ? D’ailleurs, en parlant du loup… Une silhouette s’avançait au loin. Sceptique, j’avais les yeux rivés vers la personne qui s’avançait à travers la brume nocturne. Minute… Soit Norah avait grossi… Soit… « Hé jeune homme ! J’vous préviens, je ferme à minuit ! » Le gardien du cimetière, pas Norah. Le sourire que j’affichais se volatilisa presque instinctivement lorsque le visage du vieil homme m’apparu. Mamamia. Il faisait peur avec ses cicatrices parcourant l’intégralité de son visage. Et vraisemblablement, il s’en rendit compte, puisqu’en me contournant il ne manqua pas de me donner un léger coup d’épaule. Euh oui non, pas toucher monsieur. Limite, je me demandais même s’il s’agissait bien du gardien… ou d’un zombi rescapé de sa tombe. Noraaaah, magne toi bon sang.