L'esprit complètement embrumé, j'essayais de me réveiller à ma manière en enfilant ce petit verre d'eau qui était le bienvenu. La présence de Noam à mes côtés me rassurait, mais pas ces images qui défilaient sur l'écran devant moi. Mes yeux étaient posés dessus mais mon cerveau ne comprenait pas. C'était vraiment moi, cette fille au volant d'une voiture complètement enfoncée dans un poteau ? Ça ne m'étonnait pas plus que ça, venant de moi. Malgré tout j'ignorais quels dégâts j'avais pu faire. A la limite si c'était un gars que j'avais pécho en boite je m'en foutais, si c'était un de mes proches là c'était une autre histoire. Mais si c'était vraiment grave, je ne serais sûrement pas assise là sur ce canapé, n'est-ce pas ? Limite fière de moi, je tournai la tête vers mon meilleur ami qui semblait mi-soucieux mi-amusé. Cela me fit sourire, il me connaissait par coeur. De toute façon je m'en foutais de ce qui était arrivé hier soir. J'étais en vie, j'avais toujours ma belle maison, ma famille, Noam, mon fric et mes fringues, c'était tout ce qui comptait. « Une histoire avec le fils du maire, il paraît. » Hm. Je ne répliqua pas immédiatement. Le fils du maire, je le connaissais bien, il était un de mes amis proches même. Je pris un air détaché. « Il est mort ? » demandai-je avec un manque de tact évident qui m'était propre. Noam se colla subitement à moi et me fit remarquer que je ferais mieux de me racheter une nouvelle voiture. « Ouais.. » appuyai-je avec indifférence. J'en avais vu défiler, des bagnoles. Alors, une de plus, une de moins. Le cabriolet qui s'était enfoncé dans le poteau, je l'aimais bien, peut-être rachèterai-je le même, ou bien un autre. « Faut que Papa me laisse sa carte bleue cet aprèm. Tu viendras la choisir avec moi ? » Fille de riche insupportable, et qui s'assume my dear. « T'en as pas marre de faire tous ces scandales ? » Je choisis d'adopter d'abord un air choqué ; sur quel ton me parlait-il ! Puis j'arrêtai ma comédie pour reprendre un air souriant. « Non. Bah, faut bien les occuper tu sais. » Je pointa du doigt l'écran de télévision où l'on voyait apparaitre une journaliste en premier plan commenter la scène, ainsi qu'une vingtaine de paparazzi rameutés derrière.

Je haussai les sourcils avec une désinvolture sans nom. Tout le monde pensait que je me foutais toujours de tout, et c'était bien souvent le cas. Mais comme tout le monde j'avais mes failles, or, ça, je me gardais bien de le montrer. N'est pas une Cortès qui veut et il fallait bien que je sauve l'honneur. Ce n'était pas en restant les bras croisés à ruminer ma vengeance sur le dernier secret de famille que j'avais découvert entre mes soeurs et mon fiancé que j'allais garder la face. Je m'enfonçai un peu plus encore dans les bras de mon meilleur ami qui se voulait rassurant. A mes yeux un garçon, que disais-je un homme, se devait d'être protecteur à l'encontre de ses proches ; c'était une qualité que je trouvais remarquablement sexy. Je demandai à mon meilleur ami de toujours si la victime avait succombé à mes conneries de la veille ou non. « Un peu. » Quoi ? Je me redressai brusquement, tout en me tournant vers lui. J'arborai une mine mi-whatisthefuck mi-amusée, avant de pincer gentiment le nez de Noam et de me remettre à ma place. « N'importe quoi ! Ça va comme ça les blagues. C'est sérieux quoi, si ça se trouve le mec a perdu la vie.. » ajoutai-je tout en fixant l'écran, tentant de me montrer choquée et apeurée. Chose qui n'était même pas crédible une seconde et demi. En réalité je me concentrais largement pour ne pas me trahir. « Non mais je l'aime bien en plus, Drew.. » Finalement, Noam et moi éclatons de rire au même moment, même si ma dernière phrase n'était pas exempte de vérité. Tout ce petit manège dura un certain temps entre nous autres, pourtant le reportage à la télévision ne s'achevait toujours pas. « C'est qu'ils en ont des trucs à inventer sur ma gueule. » remarquai-je en pointant du menton l'écran à nouveau. Au fond, je me fichai bien de tout cela. Qu'on parle de moi en bien ou en mal, l'important était que mon nom soit collé sur toutes les lèvres. Mes parents avaient bien autre chose à faire que de me réprimander et faire la leçon aux enfants n'était pas chose courante dans cette famille. Chacun menait le chemin qu'il entendait, quitte à se fracasser la gueule par moments, il fallait bien se relever au bout d'un moment. Vivre dangereusement, c'était ça mon truc. Mon adrénaline, la petite flamme qui me faisait tenir dans ce milieu de dingues dans lequel je vivais. Noam faisait partie du milieu lui aussi, dieu sait combien de personnes que je cotôyais depuis ma tendre enfance avaient succombé aux charmes de la drogue ou aux délices de la folie, narcissique folie des grandeurs des célébrités ; pourtant, lui, semblait parfaitement sain et posé. Lorsque je le voyais j'imaginais qu'il était détaché par rapport à tout ça, qu'au fond ça le faisait rire ou lui faisait doucement peur. En tout les cas il semblait plus spectateur de théâtre des horreurs qu'offrait la jet-set par moments. Il n'y avait qu'à river ses yeux sur l'écran de tv pour le comprendre. Il était mon pilier, sans lui que serais-je ? Le garçon parvint à me faire rire, alors que je me mettais doucement à douter de moi-même pour l'une des rares fois de ma vie. « Lance-toi dans les œuvres caritatives, comme Brad Pitt et Angelina Jolie. » Je tournai subitement la tête vers mon meilleur ami suite à cette proposition, tentant de garder mon calme même si l'on voyait bien qu'au fond j'étais morte de rire. « Non j'crois pas non. » Eclatai-je en riant. « J'arrive jamais à garder mon sérieux avec toi, t'as vu à quoi on en arrive sérieusement ? Comment je pourrais réussir à avoir l'air crédible en Afrique à distribuer des vêtements aux pauvres avec mes Louboutin aux pieds et tes conneries qui résonneraient dans ma tête ! » le taquinai-je. Je repris mon souffle un instant puis le fixa, sans plaisanter cette fois. « Toi par contre, ça t'irait bien. Non franchement tu devrais essayer. Vraiment. Ouais tiens ça serait une bonne idée, parfait pour redorer le blason de la famille. Après "L'ainée Cortès manque de tuer le fils du maire de Montsimpa après une soirée arrosée", "Noam Beckett, le fabuleux écrivain et acolyte de Deva Cortès se lance dans les oeuvres caritatives" serait le titre de leur prochain reportage. Franchement ça le fait non ? » Je haussai les sourcils d'un air taquin.

« Si il était mort Deva, je serai pas là à m'en foutre. » Sa réponse me fit quelque peu réfléchir. Je n'avais jamais réellement eu à affronter de deuil, en réalité je me foutais tellement de tout, les gens allaient et venaient dans ma vie et je ne prenais pas la peine de m'en soucier. Nous étions déjà allées, mes soeurs et moi, accompagner nos parents aux enterrements de certaines de leurs connaissances, ils connaissaient tout le monde en même temps. Mais cela ne me faisait ni chaud ni froid, au contraire nous nous faisons toujours remarquer lors de ce genre d'évènement, comme la dernière fois lorsque Casey et moi étions arrivées complètement pétées à la cérémonie de deuil de Théodore, un ami de nos parents. Bref notre réputation n'était plus à faire, mais je touchais du bois pour qu'un drame ne nous touche pas. Combien de fois m'avait-on dit "un jour ça te retombera dessus". Ouais bien sûr. Je tournais ma tête vers mon meilleur ami. Je savais qu'il avait du subir récemment un choc avec la mort de son cousin, c'est pourquoi je décidais de changer de sujet afin de ne pas l'affecter trop. Nous éclatons d'ailleurs de rire lorsque nos regards se croisent, nous partagions bien évidemment le même avis au sujet de Drew. C'était un charmant garçon quand il le voulait bien, mais il fallait le dire, il n'en menait pas large dans les médias. « Tu les fascines tous. » « Ben oui je sais. » Depuis que j'étais née c'était ainsi. Pas un seul instant de répit, d'anonymat, de tranquillité. Même si je sortais et traversais simplement la rue pour aller acheter un paquet de chewing-gum dans un commerce, les journalistes trouveraient toujours un truc à redire sur ma personne. Tiens Deva a pris un peu de bide, serait-elle enfin enceinte de son fiancé? L'ainée Cortès va faire ses courses toute seule, plus seule que jamais elle se sent délaissée par son fiancé? Ils interprétaient tout, que ce soit en bien ou en mal. Alors oui je faisais la fille lassée de tout ça, je l'étais parfois, mais honnêtement j'adorais qu'on parle de moi. Si l'attention n'était pas portée sur moi, si tous les yeux ne me suivaient pas du regard partout où j'allais, je me sentais.. mal. Une impression de ne pas exister, d'être transparente. Bref insupportable. « Ou alors ils n'ont rien d'autre de plus intéressant à nous foutre. » Je n'étais pas d'accord avec ça, ma vie était assez intéressante pour que les gens soient fascinés par moi et ma famille, je les comprenais bien, à leur place je me kifferais aussi. Bref, parler ainsi de moi-même pendant des heures ne me dérangerait aucunement, au contraire j'adorais ça, seulement il fallait bien passer à autre chose à un moment donné malheureusement. On commença à partir dans des délires à propos de l'Afrique et des missions humanitaires que faisaient certaines célébrités pour se donner bonne conscience. Des conneries tout ça. « Je vais casser ton délire ma belle mais... J'suis pas Kirikou tu vois. Alors l'Afrique, osef, j'irais pas. » « T'es pas Kirikou mais t'es mon meilleur ami tu vois, alors tu pourrais faire ça pour moi. » Je commençai à le secouer gentiment puis un peu plus énergiquement pour le remuer, mais il n'y avait rien à faire, ce mec était têtu comme une mûle. Il finit tout de même par me déposer un bisou sur la joue comme pour me dire t'inquiète jt'aime quand même. En réalité j'en avais rien à foutre de redorer le blason de la famille, il était déjà suffisamment sali comme ça. Ce n'était pas pour autant que les gens allaient s'arrêter de m'aduler, il leur fallait bien un modèle dans la vie, moi quoi. Un petit sourire vint se loger au coin de ma bouche. « Breeef. Connaitrais-tu un remède anti-gueule de bois mon cher? Je suis sûre que si, t'écris des bouquins tu connais tout toi. C'est pas que je sois pas habituée mais j'ai un truc super important à faire tout à l'heure et là je suis pas présentable tu vois. » Dans le fond je m'en battais les steaks d'être présentable ou pas, mais je devais avoir l'air un minimum sérieuse lorsque je verrai ma mère pour terminer les préparatifs de ce gala de charité, et si elle voyait que j'arrivais encore avec un coup dans le nez jamais elle ne me laisserait quelconque responsabilité et je détesterais ça.

« Je vais pas aller en Afrique pour tes beaux yeux non plus. » « Bah tu devrais. » Quel connard, il adorait m'embêter. J'eus un instant d'hésitation. Noam était mon meilleur ami depuis très longtemps et j'avais toujours pu compter sur lui. Mais en réalité, je n'avais jamais eu de réelle et grave épreuve à surmonter dans ma vie. A cause de sa remarque étrange, j'en vins à me demander si j'étais au bord d'un ravin, prête à tomber dans le gouffre, s'il me pousserait pour engager ma chute ou au contraire me tendrait la main. Noam Beckett était un salaud c'était bien connu. Mais il était aussi et avant tout mon meilleur ami. Or sa pauvre réflexion m'avait fait quelque chose. Mais je tâchais de ne pas le montrer, il devait plaisanter, c'était sûr. Puis j'étais Deva Cortès, merde. Pour changer de sujet je me mis à parler, et parler, et encore parler. Comme d'habitude lorsque je me retrouvais dans une situation peu plaisante. C'était ma façon à moi de montrer aux autres que j'en avais rien à foutre de ce qu'ils pouvaient penser de moi, que je gardais toujours la face quoi qu'il arrive et qu'ils pouvaient bien me détester ou me trouver pathétique, j'adorais ça. Pourtant je me surpris à être aussi énergique si tôt dans la journée. Mon dynamisme emblématique n'était plus à prouver, or je n'étais pas du matin. Surtout après une soirée comme celle de la veille, j'avais généralement une mine de déterrée en me réveillant et il ne fallait surtout pas venir me parler. C'était peut-être la présence de Noam qui m'agitait comme ça. J'étais une pile électrique il fallait bien que j'honore ma réputation, même si Nono me connaissait par cœur. Bref, j'avais beau péter la forme, quelques restes alcoolisés coulaient encore dans mon sang, j'avais si peu dormi. Il me fallait un remède magique pour me remettre sur pied pour tout à l'heure. « Cherche sur Google si tu veux savoir. » « T'es sérieux, là ? » Je lui faisais l'honneur de lui demander son aide, chose que je ne faisais jamais, ô grand jamais, avec personne, et lui me rembarrait aussi sec. Qu'est-ce qu'il était chiant. Il aimait bien me voir énervée, eh bien il allait voir ça. Sans un mot, je me laissai faire lorsque Noam attrapa ma main pour m'emmener dans la cuisine. J'avais bien l'intention de faire la tête jusqu'au bout. « Ne me regarde pas. Va faire des trucs de fille en attendant. » « J'y comptais bien. » répliquai-je aussitôt. Je n'eus pas le temps de faire quoi que ce soit que le garçon me fit sortir de la cuisine limite à coups de pied au cul. J'avais beau l'adorer il commençait à m'énerver un peu. Passant devant la glace du couloir, je m'observai dans la glace. Heureusement que les UV existaient pour donner bonne mine, hein. J'allais me retrouver à faire du botox à trente ans, comme ma mère, c'était certain. Je montai ensuite à l'étage pour prendre une douche et relever mes cheveux en un chignon haut puis redescendit rejoindre le garnement qui me préparait sa mixture. Un verre doté d'un contenu rouge sang m'attendait sur le comptoir. Ça me m'inspirait pas trop confiance ce truc, d'autant plus que je m'étais promis de bouder Noam. Promesse que je ne réussirais sans doute pas à tenir bien longtemps, nous connaissant. Mon meilleur ami me demanda ce qu'était mon rdv super important. Non je n'avais pas rendez-vous au nail bar, pour une fois j'allais faire quelque chose de ma vie aujourd'hui. « On doit préparer le gala de charité de la saison avec maman. Encore une de ses lubies, enfin tu sais. » Oui, Noam savait, il connaissait très bien la mère Cortès. J'attrapai le verre et portai la mixture à mes lèvres, adoptant un rictus douteux.. Avant de tout recracher sur Noam. « Panoramix devrait prendre des cours culinaires, c'est dégueulasse ton truc ! » J'étais mi-morte de rire mi-désolée pour la si jolie chemise de Noam. Mon regard se porta sur la mixture, puis Noam. Puis Noam, puis la mixture. Oh, au point où il en était après tout. A son regard je vis que Noam avait compris mon machiavélique plan or je fus plus rapide que lui et en moins de deux je le barbouillai de sa potion rouge partout sur ses habits, je réussis même à en lui mettre un peu au bout du nez bien qu'il se débattit.