les verres, je les essuie d'un geste vaguement concentré. le petit corse, il est toujours plein, à longueur de journée, si bien que vers dix neuf heures, on finit toujours par courir derrière les plats, les pint et les tasses de café. mais pas aujourd'hui, non. aujourd'hui, il brille par son calme de fin de soirée. et appuyé contre le bar, je murmure un hey jude lasse et fatigué. then you begin to make it better. les fins de soirées ne me réussissent jamais. je devrais prendre le large à dix sept, dix huit heures et finir ma journée devant la télévision, pressé contre elie, le genre de soirée dont on se prive depuis un petit moment déjà. la faute à qui ? à moi. seulement voilà, je dois rester ici, plouc de service et me tenir prêt à en mettre plein les yeux. pour servir un café saveur luxe à ceux qui en payent le prix. dans ces tasses qui brillent de propreté, qui n'ont pas de bouts de chocolat mais un dessin tracé dans la mousse. c'est ridicule mais ça nous fait pétiller. on se sent comme dans un film, calé dans un fauteuil en cuir. alors je dépose le verre, m'étire un peu, en prend un autre. je répète l’opération depuis vingt et un heure trente. mes deux trois couples sont au dessert et bientôt l'un d'autre eux commandera un café de barista. ils pétilleront et lorsque l'un s’étouffera, je pourrais m'enfuir de là et rentrer chez moi.

mouvements souple, nez plissé, regard concentré, le mien. la tête penché, j'observe la porcelaine qui s'envole avec le plateau d'argent, les lumières s'éteindront bientôt, bientôt, avec sa disparition. je serre sous mes doigts mon poignet, jette le chiffon sur le comptoir et observe mon terrain de jeu un instant, un instant, pour le voir apparaître sous mes yeux. william. le fascinant. la belle gueule et la voix troublante. mes lèvres s’étirent un peu. oh si tu savais comme au fond c'est brûlant. je me sens presque bête de m'éveiller autant. mes doigts glissent sur le comptoir, elle dansent un peu. elles prennent leurs temps. parce que tu en as du temps maintenant, non ? tu ne serais jamais venu sinon. quoi qu'encore. je pourrais en perdre pour une nuit avec toi. alors tu vois je me tais. je me contente de faire le job de barista, de jouer avec les machines. pour toi. je tourne une dernière fois la tasse et la dépose, délicat. tu sais william, le cooconing, c'est le matin. mais on va faire les choses à l'envers aujourd'hui, d'accord ? tu arrives café à la main et tu repars sans rien. on parlera jusqu’au matin et tu ne me toucheras même pas. c'est un peu laid dis comme ça non ? je te veux contre moi. il reste une demi-heure. le temps d'un bécot, d'un dernier regard et c'est fini. j'observe les deux silhouettes attablés prêt de la vitre. celles qui saccagent mes tasses et gloussent à deux. ah. je défais un peu mon tablier, prépare le retrait. tout le monde me connait. j'arrive aussi vite que l'envie me prend de m'en aller. mais où ? et pour qui ? le beau compliqué ? la fidélité ? je m'attable contre le comptoir, me rapproche un peu. c'est la voix des confidences. il a sorti le grand jeu tu sais. sourire de velours, fleur dessiné dans le café. une bonne quinzaine de billets en dessert dans l'espoir de l'allongé. et puis parfois, sa main caresse son bras, comme l'entrevue d'une douceur qu'ils pourraient partager à deux. c'est délicat. c'est presque niais. il veut le cœur, le décolleté. moi, tu vois, je t'offre juste un café et une carte au choix. tu le trouves comment, mon jolie bistrot dorée ? celui où tu ne peux rien dire, rien faire. celui où tu peux seulement me parler avec tes yeux. tu brûles comment ? t'es aussi innocent que tes questions ? tu veux du café, une discussion, moi contre toi ? on peut discuter, faire un bout de chemin et si c'est intéressant, on peut même improviser. dans le genre ballet de haute voltige. avec le foutu Mozart en fond sonore. c'est un drôle de terrain de jeu. pas de luciole, pas de vokda, de verres en plastique, de musique qui assourdit. pas de foules pour cacher les vérités, de chambres juste à côté. pas de rire, juste du snobisme au bord des lèvres et des costumes trois pièces. et puis toi. là, pas fringuant, un peu sauvage. ça détonne délicieusement. il me reste vingt minutes, je fais quoi, dis moi ?

I need you to be more than a light in me. Je tourne la tasse brûlante dans mes mains, les yeux qui exsudent toute la fascination que tu m'inspires. Transportes-moi, un peu plus loin, toujours plus. Le rire s'envole, sincère, et je secoue la tête. Djali, les heures n'ont pas d'emprise sur moi. Je tords le temps à mon bon vouloir, je le plie à mes envies. J'voudrais pouvoir l'avancer encore un peu, tu vois. Juste un peu, juste assez pour bouger, être libre de laisser libre cours à mes doigts qui tracent le contour de la tasse, à défaut de tracer quoi que ce soit sur ta peau à toi. « Et pourquoi ça ? Ça ne t'amuserais pas, qu'on inverse tout ? » et c'est les commissures qui s'étirent, loin, loin. Et je ris, encore. Je ris de tout, de toi, de nous. La demi-heure passera comme une seconde, sous la lumière dorée et les rires des clients. Et puis je suis ton regard, sur les deux là-bas, les tympans vibrant sous l'impulsion de ta voix confidente. C'est doux. Le grand jeu, c'est ici que ça se joue, là. Sous nos yeux, mais pas de ce côté, Djali, regarde pas aussi loin, écoutes ; c'est pas la peine. Je sirote ton café, je suis tout ouïe. L'improvisation, qu'il y a-t-il d'autre d'envisageable ? Je ne vois rien devant nous, l'avenir reste à vivre, à déguster, comme ton café. Il y a tellement plus excitant que ce café, Djali. J'voudrais poser mes lèvres ailleurs que sur la porcelaine mais, j'suis coincé ici. Regarde-moi, j'suis pas coulé dans le moule d'ici. On peut le faire, ce bout de chemin. J'acquiesce. « Ou tu voudrais que ça nous mène, toi ? » Remarque, on a déjà un bout de sentier derrière nous. Curieux. C'était la frénésie, les stroboscopes et la vodka. C'est devenu la plénitude, la lumière des petits salons privés et les cappuccino aux heures indues. Et puis toi, moi, drôlement calmes. Pour les vingts minutes qui restent, j'pourrais encore t'écouter me parler d'eux, de ces gens bien. A condition que tu laisses mon bras frôler le tien, comme ça. Ça brûle, c'est vif. C'est la fleur dessinée sur la café et la quinzaine de billets en plus. Ça n'a même pas encore commencé et moi aussi, je voudrais déjà l'allonger, ce dessert. « Tu pourrais, je sais pas. T'enfuir avec moi, laisser les jolis dessins à quelqu'un d'autre et faire ce bout de chemin dont tu parlais. Me raconter tes rêves les plus fous et les plus inavouables. » Je souris, espiègle, je ne fais que ça, je me moque gentiment de ces stupides mots qui en disent trop. Ne me prends pas au sérieux, Djali. Ce ne sont que de jolies paroles voilées d'une insolence à peine dissimulée. Creuse bien, écoute bien. Pourquoi pas, après tout ? « Ce serait indécent de fumer là, non. Je vais sortir cinq minutes. » Délicieuse addiction à laquelle, celle-là au moins, je peux céder. Tu me suivrais ? « Tu fumes, Djali ? » Je ne sais plus, pardonne-moi tu vois, je ne garde que les sensations, les baisers volés et les rires dans l'obscurité.