Si la panne d'électricité qui touchait la ville depuis quelques jours déjà semblait enchanter bon nombre de travailleurs mis au repos forcé pour cause de soucis techniques, Morgan, lui, ne pouvait que s'en plaindre. Et pour cause : avec l'hiver approchant, le soleil qui se couchait de plus en plus tôt et la seule lumière de la lune en guise d'éclairage, la municipalité s'était attendue à ce que des citoyens mal intentionnés profitent de la situation afin de commettre vols et cambriolages sans qu'aucune alarme ne se déclenche. Aussi avait-on sollicité plus que de coutume les agents de terrain dont Torres faisait partie. Arpenter les rues, lampe torche à la main et arme de service sous le coude en cas de gros problème, cela n'avait rien de passionnant, surtout compte tenu du fait que Montsimpa semblait être la ville le plus calme qu'il ait jamais connu en terme de banditisme.

La veille, il avait été de garde dans le centre ville. Ce soir là, en revanche, on lui avait demandé de patrouiller au sein des quartiers résidentiels pour s'assurer qu'aucun habitant ne se retrouve dans un situation délicate ou dangereuse à cause du manque de lumière. Ronchon, il remontait les avenues à bord de son véhicule de fonction quand le manque impressionnant d'activité dans les rues du monde manqua de le faire piquer du nez. Alors, pour s'assurer de rester vif et réceptif, il décida de se garer et de continuer à pieds ; comptant sur l'air frais de la nuit pour le maintenir en alerte. L'endroit était cependant si calme qu'il baissa malgré lui sa garde, ce qui lui valut de percuter de plein fouet quelqu'un - ou quelque chose - au coin de la rue. Après avoir poussé une exclamation mi souffreteuse, mi surprise, il se reprît et braqua le faisceau de sa lampe torche en plein dans les yeux du civil bientôt responsable de la bosse qu'il aurait sur le front. " STOP ! Arrêtez-vous ! " S'écria-t-il, professionnel. " Qu'est ce que vous foutez dehors à cette heure-ci ? " Ses yeux, pas encore bien habitués à la lumière de la lampe, peinaient à discerner clairement le visage de l'inconnu(e), mais il n'en restait pas moins méfiant. Après tout, assez peu de personnes sensées se seraient baladées dans la nuit noire à cette heure avancée de la soirée ...

« Aller, viens, c'est le moment ! » La voix suraiguë de Clara, une vieille amie de Sydney hurlait dans le téléphone. « On ne passera pas par la maison de ton père, promis ! Mais tu sais qu'il y a le festival du film japonais cette semaine et... et même The Balmain Art and Craft Show deux semaines avant ! Je sais à quel point tu aimes l'art contemporain ! Aller, je t'en pris, on meurt tous d'envie de te voir ! » Elle savait quels arguments me ferait changer d'avis. Le Balmain Art and Craft Show étaient une exposition d'art, allant de l'ancien au contemporain où l'on pouvait découvrir les artistes et partager avec les passionnés de peinture. Avant que je parte de Sydney après ma dispute avec mon père, il y a presque un an de cela, j'y allais perpétuellement. C'était devenu une tradition. « Surtout que.. Les billets sont à moitié prix ! » Clara s'arrêta, anxieuse et hésitante, sur ses gardes. Je savais qu'elle avait encore d'autres raisonnements probables et inimaginables pour me faire rentrer, même rien qu'une semaine, dans ma ville natale. Je finis par jeter l'éponge. « Bon, je prends le vol de treize heures, mardi quatre , viens me chercher à l'aéroport ! » Elle poussa un petit cri de contentement et je levais les yeux au ciel. Parfois, je ressemblais plus à mon père que je ne le craignais ce que m'agaçais au plus profond.
« Les passagers du vol 909 sont priés de bien vouloir attendre dans le hall, nous nous excusons du retard, nous espérons pouvoir y remédier bientôt. » Trois heures que je poirotais. Mon séjour en Australie avait été génial et c'était extrêmement bien déroulé, à l'instar de ce que j'avais imaginé. Mais c'était vraiment curieux de voir comme le retard de mon avion pour rentrer au pays pouvait changer la donne. « Je t'avais dit d'appeler mon jet privé ! » m'exclamais je en soupirant. Clara, qui avait décidé d'attendre avec moi, rigola gentiment. Mon amie savait très bien que la patience était l'arme la plus redoutable. Encore mieux que le sarcasme. Sauf que moi, je ne disposais que d'un fond de patience. A peine un pour cent de ce que je possédais. Le grésillement sans fin s'échappait des hauts-parleurs. Il était devenu comme un bruit de fond, un son habituel dont je n'arrivais pourtant pas à m'y faire. Cela m'agaçait. Soudain, les grands écrans de télévision clignotèrent. Nous pouvions enfin embarquer dans l'avion. « Pas trop tôt... » marmonnais je, dans ma barbe. Clara m'étouffa sous ses bras. Son étreinte passée, je me précipitais dans le couloir me menant dans l'avion.
Quelques heures plus tard j'étais enfin à Montsimpa. Le long vol m'avait exténuée et il était largement plus de vingt heures. Le soleil s'était couché laissant place à une nuit d'automne comme j'avais perdu l'habitude. La panne d'électricité perdurait n'illuminant plus ma rue comme auparavant. Au point où on n'y voyait quasiment plus rien. Mes yeux ne voulaient pas s'adapter à la noirceur de l'endroit. Mais, soudain, la rue si calme prit un mauvais tournent et je percutais quelque chose – quelqu'un ? - de plein fouet. Je crus entendre une petite exclamation surprise avant d'être plongée dans un faisceau de lumière qui m'aveugla. « STOP ! Arrêtez-vous ! » me cria une voix masculine. Mes yeux cherchaient la silhouette de l'homme qui venait de prononcer ses mots. J'aurai dû tendre la main pour savoir ce qui m'agressait ou au moins l'arrêter dans son élan mais j'étais trop frappée par la fureur et la surprise pour réagir. J'étais en fait terrorisée. « Qu'est ce que vous foutez dehors à cette heure-ci ? » Il fallait que je réponde à cette voix autoritaire, presque menaçante, qui s'adressait à moi. Je clignais des yeux (chose que je n'avais pour l'instant pas faite depuis que l'on me hurlait dessus) et m'obligeais à respirer normalement, sans haleter. « Euh... Je... Qui êtes vous ? » ma voix hésitante, voulait se briser et me faire faux bon, comme à chaque fois dans ce genre de moment – non pas que de me faire crier dessus par un inconnu en pleine nuit m'arrivait souvent mais j'avais l'impression d'être un aimant à problème, ces temps ci. « Que me voulez vous ? Et puis... tout d'abord... Qui êtes vous pour me demander ce que je fais là ? Ma mère ? » Ouille, sujet difficile. Je l'avais presque oublié celui là ! Cela faisait environ trois ans qu'elle n'était plus des nôtres mais la plaie était encore fragile et alors qu'elle venait de cicatriser, je l'avais rouverte en quelques secondes. Mais, alors que je baissais les yeux pour oublier la douleur, un objet brillant m'interpella. C'était un genre de badge de police. Mais qui était cet homme ?

Spoiler:

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« Euh ... Je ... Qui êtes vous ? » Avec l'expérience, Morgan avait appris qu'une voix féminine - contrairement à ce que pouvait croire le bon sens populaire - n'était pas toujours synonyme d'innocence et de faiblesse. Bien au contraire. Quelques-uns des éléments les plus coriaces auxquels il avait eu affaire tout au long de sa carrière s'étaient avérés experts en talons aiguilles et en jupes fendues ; aussi ne se laissa-t-il pas attendrir par l'air perdu, voir même un tantinet effrayé de la jeune femme. Bien au contraire, sa main libre restait en alerte et prête à tout moment à dégainer son arme si l’individu se mettait à adopter un comportement suspect. « Que me voulez vous ? Et puis ... tout d'abord ... Qui êtes vous pour me demander ce que je fais là ? Ma mère ? » Gonflé d'orgueil, Morgan bomba le torse, n'aimant pas qu'on lui parle sur ce ton et encore moins lorsqu'il effectuait son travail comme il fallait. « Lieutenant Torres. » Répliqua-t-il du tac au tac en lui collant son insigne sous le nez, dans le rayon de lumière dorée qui s'écoulait de sa lampe torche. « Je vous invite à changer de ton et à répondre à ma question jeune fille, sinon la situation risque de mal tourner pour vous. » Première phase de la maitrise d'un suspect éventuel : l'intimidation. Avec ses yeux noirs, sa carrure imposante et sa voix grave, Morgan avait rarement à passer aux phases supérieures, plus risquées mais aussi plus musclées. Cela dit, il n'était pas en reste lorsqu'il s'agissait de se lancer dans une course poursuite ou dans une interpellation durant laquelle il était presque certain de récolter des coups. La fibre policière que lui avait transmise son père et qui s'était vue accentuée par l'assassinat de ce dernier, ainsi que part l'envie revêche d'aider la Justice à se faire entendre coûte que coûte, avait fait de lui un élément solide et efficace, voire même un tantinet téméraire, compte tenu du fait que ses rancœurs personnelles le rendaient particulièrement intransigeant vis à vis des voyous ...

J'essayais de distinguer l'homme se tenant devant moi. Il était vêtu d'un uniforme et sa carrure était assez impressionnante. Il eut un moment où la lumière ondula et où je perçus quelques uns de ses traits. Il était assez séduisant et sa carrure était imposante. Il devait avoir la trentaine et, malheureusement pour la jeune célibataire que j'étais, surement marié et parent. « Que me voulez vous ? Et puis ... tout d'abord ... Qui êtes vous pour me demander ce que je fais là ? Ma mère ? » Ma blessure saignait encore lorsqu'il bomba le torse. Apparemment, il n'était pas très content que je lui parle ainsi. C'était peut être qu'il n'en avait pas l'habitude si c'était un vieux macho comme j'en croisais parfois dans cette rue. Je n'étais qu'à quelques pas de mon logement, j'en eu rapidement marre et je me demandais s'il n'était pas plus prudent que je file à l'anglaise. Mais, la réponse du grand brun me déboussola. « Lieutenant Torres. » Qu... Quoi ? Un lieutenant ? Un policier, donc ? Voilà pourquoi il était en uniforme ! Ce n'était pas parce qu'il c'était trompé de date pour halloween ! Je ne savais que répondre, j'en avais le souffle coupé. « Je vous invite à changer de ton et à répondre à ma question jeune fille, sinon la situation risque de mal tourner pour vous. » Oups... Manquerais plus que de terminer au poste de police et ça serait la cerise sur le gâteau pour la soirée ! Il me flanqua son insigne sous le nez. « B.. Bien sur... Je suis sincèrement désolée... Je reviens de l'aéroport et en plus d'un long retard, y'avait plus de taxi alors j'ai dû porter mes lourds bagages toute seule jusqu'ici et... » J’étalais ma vie, comme d’habitude. Je me tus brutalement, rougissant pour m'excuser. Cet agent de police avait surement autre chose à faire que de m'écouter, en pleine nuit ! Je ne savais pas ce qu'il faisait là, lui. A présent douce comme un agneau, je lui demandais gentiment. « Mais Lieutenant, que faites vous ici par pleine nuit ? Vous devez avoir froid... Est ce à cause de la panne ? »

Après avoir rangé son insigne et avoir entendu l'inconnue bégayer de la sorte, Morgan abaissa imperceptiblement la main libre qui menaçait, par réflexe professionnel, de s'emparer à tout moment de son arme de service. Enfin, quand la lueur de sa torche éclaira les bagages dont il était question dans le discours de la jeune femme et qu'elle se mit à rougir d'un air gêné, il relégua l'idée qu'il puisse s'agir d'une cambrioleuse au second plan et consentit à moins l'éblouir, même si sa nature le gardait sur le qui vive en cas de pépin. « Mais Lieutenant, que faites vous ici par pleine nuit ? Vous devez avoir froid ... Est ce à cause de la panne ? » Au ton rassuré qu'il y avait dans sa voix, Morgan comprit qu'elle avait probablement plus eu peur que lui en le percutant et que le fait d'apprendre qu'il était policier était accueilli comme un soulagement. Un brin paternaliste, il la couva du regard et évalua son âge avant de répondre avec raison « Ce n'est pas très prudent de courir les rues seule et encombrée de bagages à cette heure et sans éclairage qui plus est, mademoiselle. Puisque je patrouille pour m'assurer qu'aucune âme malintentionnée ne profite du noir pour s'introduire chez les gens, je me vois dans l'obligation de vous proposer mon aide. » Cette tirade ayant en partie répondu à la question de l'inconnue (non, il n'avait pas froid, il était habitué à travailler en extérieur et son uniforme avait été pensé pour maintenir la chaleur près du corps), il éclaira la main qui tenait son énorme valise et approcha la sienne dans cette même direction comme pour l'encourager à lui confier le bagage. « Donnez, je vais la porter. Montrez moi le chemin. »

Le policier parut se retrancher. Il avait surement décrété que je n'étais pas une cambrioleuse ou simple pas une détraquée sortie tout droit de son asil de fous. Quoi que parfois on aurait pu le croire... J'avais cru voir sa main prête à prendre son arme au moindre pas brusque que j'aurai pu faire mais lorsqu'il se détendit, sa man sembla plus légère, moins à l'assaut. Les faisceaux lumineux de sa lampe de service se reflétèrent sur mes bagages et il comprit. La main qui tenait sa lampe se baissa un peu de façon à ce que je sois moins éblouie par sa lumière. Je fus imédiatement rassurée. Je n'allais peut être pas finir au poste de police ce soir. « Mais Lieutenant, que faites vous ici par pleine nuit ? Vous devez avoir froid ... Est ce à cause de la panne ? » Son regard (paternel, surement, j'en étais sur il devait déjà être père et marié) me couva et après une brève hésitation - il devait étudier mes traits - il se mit enfin à répondre, détournant la questions. « Ce n'est pas très prudent de courir les rues seule et encombrée de bagages à cette heure et sans éclairage qui plus est, mademoiselle. Puisque je patrouille pour m'assurer qu'aucune âme malintentionnée ne profite du noir pour s'introduire chez les gens, je me vois dans l'obligation de vous proposer mon aide. » J'aurai tellement aimé qu'il s'introduise chez moi parce que je lui plaisais et non pas par "obligation". Malheureusement, je n'étais pas du genre à flirter avec des hommes mariés. Sauf qu'il était le type d'homme que je recherchais. Chevelure brune, barbe de deux ou trois jours, fade odeur de cigarette accrochée à ses vêtements, il était parfait pour détruire ma vie de petite fille et recommencer à zéro. Ma main, celle qui tenait ma grosse valise fut alors éclaié et sa main se tendit vers le bagage. « Il est vrai que je ne refuserais pas un peu d'aide de votre part, cher Lieutenent. » Je lui donna ma valise à roulette et nos doigts se frolèrent quelques instants et j'aurai voulu prolonger ce moment que ne serait ce qu'une minuscule seconde pour sentir sa peau sous mes paumes. « Donnez, je vais la porter. Montrez moi le chemin. » dit il alors que je me décidas enfin à lacher la valise. « Merci beaucoup, monsieur... Venez, c'est par ici. » Je continuais ma route avec un pas d'avance sur lui. Lorsque l'on arriva devant le bâtiment de mon logement j'émis un petit soupire. Allait il m'aider à les monter . Devrais je lui offrir un verre ? Un café alors ? J'hésitais. « C'est ici... »

Suivre la jeune femme, même chargé de son bagage, ne s'avéra pas difficile. Les roulettes de la valise s'accordaient à merveille avec le trottoir parfaitement lisse de la rue. Tout avait d'ailleurs tendance à être parfaitement lisse à Montsympa, pensa Morgan en silence. Preuve venait d'être faite que cette étrangère n'avait rien d'une cambrioleuse, tout comme il ne doutait pas qu'on aurait bientôt la preuve que cette coupure de courant tenait plus de la mauvaise blague, voire même de panne accidentelle, que de l'attentat terroriste ou du crime organisé. Encore un peu et il en serait venu à dire que Jacksonville lui manquait. Que l'adrénaline lui manquait. Dans cette ville où tout était beau et où ses heures de travail se résumaient à de vaines patrouilles toutes plus soporifiques les unes que les autres, l'homme de terrain et d'action qu'il était s'ennuyait profondément. Pas de là à souhaiter l'anarchie et le crime perpétuel pour amener un peu d'action dans sa vie, mais assez en tout cas pour en vouloir à ses supérieurs de l'avoir fait muter dans un bled qui n'avait de toute évidence pas besoin qu'un Morgan Torres vienne remonter les bretelles de qui-que ce soit ...

« C'est ici ... » Il n'avait pas vu la route défiler et ne sortit de ses pensées qu'en manquant d'entrer une fois de plus en collision avec la jeune femme arrêter devant la façade de sa maison. A son air hésitant, il devina qu'elle se demandait s'il allait faire l'effort de trainer sa valise jusqu'à l'intérieur. Estimant qu'il pouvait se payer le luxe d'être serviable puisque rien ne semblait vouloir troubler cette nuit noire, Morgan décida que tel serait le cas. « Bien. Voulez-vous que je grimpe tout ça chez vous où préférez-vous que je vous laisse ici ? » Questionna-t-il, pour la forme, tout en étant quasi certain qu'elle lui demanderait de monter le paquetage plutôt que de la laisser là, entourée de ses sacs et de l'obscurité pas franchement rassurante.