Je n'avais jamais remarqué à quel point il faisait si frais dans les supermarchés. En même temps ces derniers jours j'avais tellement de bouffés de chaleur que je remarquais plus grand chose. Il me manquait des légumes à la maison, et j'avais eu la flemme depuis une semaine, donc il était temps pour moi d'aller faire deux trois courses. J'avais tellement faim ces derniers temps, j'avais l'impression de manger pour dix. J'aurais été une vache que ça aurait été pareil ! Je sortais donc rapidement de chez moi, et je prenais la direction du supermarché. Une fois arrivée sur place, je profitais un instant de la climatisation afin de me rafraîchir un peu. Je me dirigeais ensuite vers les fruits et légumes afin de prendre ce dont j'avais vraiment besoin. Seulement en y allant, je passait devant les bonbons et gâteaux, et là tout de suite la tentation était vraiment trop grande. Je pris deux paquets de bonbons, et à peu près cinq paquets de gâteaux. Après je me disais que j'en aurais d'avance si jamais Blaine venait avec sa fille. Bon à vrai dire, là je ne pensait qu'à moi. Je mis donc tout dans mon panier, et partait en direction du rayon légumes, je choisissais ce qui me fallait en priorité, les mettais en sac et les déposais dans mon panier. Je réfléchissais à ce qui me manquait en errant dans tout les rayons, et je tomba nez à nez avec une demoiselle sur qui j'aimais tombé. Cette femme, c'était Blaine, et c'était vraiment une amie en or. A chaque fois j'avais besoin de conseil, ou d'épaule pour me soutenir dans ma grossesse, elle était présente. Elle avait vécu, ce que j'étais en train de vivre, donc c'était la mieux placé pour m'aider et me conseiller. Je lui souriais, et m'avancer vers elle. "Bonjour Blaine"

Malgré le fait que le deuil me terrassait de plein fouet, j’arrivais encore à mettre le nez dehors pour quelques heures. J’essayais de me faire la plus discrète possible, même si ce n’était pas facile. Tout le monde se connaissait à Montsimpa. Aujourd’hui, je décidais de sortir pour faire quelques courses. Acheter essentiellement des affaires pour Bonnie, des petits pots pour bébés et ses couches. Puis peut-être quelques trucs pour moi, même si en ce moment, mon estomac n’était pas vraiment en mode fanfare. Sur la route, je croisais quelques personnes que je connaissais. Ces personnes étaient venues à l’enterrement de Dexter. Je ne leur adressais qu’un simple signe de tête. Je savais que s’ils venaient vers moi j’allais avoir droit à la pitié des gens, aux « comment vas-tu » alors qu’ils savaient très bien au fond que ça n’allait pas. Lors des premiers jours, c’était tout le temps. Désormais, je restais un peu tranquille. J’en avais besoin après tout. J’étais prête à envoyer promener tout le monde tellement j’étais irritable et déprimée. Peut-être que faire les courses au supermarché allait m’aider à oublier pendant quelques heures, le fait que je n’étais qu’un « légume ». J’étais habillée pour ne pas être nue : un jean, des baskets, un petit haut simple. Mes cheveux bouclés restaient intacts. Mon visage était meurtri par la fatigue. Je ne savais même pas comment j’arrivais encore à marcher. J’entrais dans le magasin avec un caddie, Bonnie était assise à l’avant. En me promenant dans les rayons, je ne savais même plus ce que je devais acheter. J’étais perdue. Je marchais sans vraiment savoir où aller. Puis je tombais nez-à-nez avec une personne que je connaissais très bien. Une fille, qui me ressemblait étrangement d’ailleurs : Winnie. Elle était enceinte, et allait être maman elle aussi. J’appréciais passer du temps avec elle et la conseiller. J’étais contente de la voir ici, même si cela ne se voyait pas sur mon visage. J’essayais tout de même de me forcer à sourire, même si j’avais du mal. « Tiens, Winnie ! Quelle surprise ! Comment vas-tu ? » La question qui fâche. Je savais qu’elle allait me le demander. Je n’avais même pas envie de lui mentir. J’en avais assez des mensonges.

Elle avait l'air fatiguée, comme à chaque fois que je la croisais. Elle avait l'air d'être de plus en plus malheureuse. Comme si rien n'allait dans sa vie. Elle esquivait toujours les questions sur la santé en général, et pour lui faire plaisir je ne m'attardais pas sur les "sa va bien". J'adorais passer du temps en sa compagnie, j'aimais chaque moment que l'on pouvait partager. Je n'étais pas du genre à discuter avec n'importe qui, mais vu ma sociabilité j'avais des facilités à aborder n'importe quel sujet avec n'importe qui. Mais avec elle c'était différent, on se retrouvait en général pour se détendre ou pour parler d'enfant et de grossesse. Elle était passée par ce que je vivait en ce moment et du coup j'aimais tellement avoir ses conseils. Ils me permettait de mieux gérer ma grossesse. "J'aime bien les surprises comme tel. Comment va Bonnie ?" Je me penchais vers la droite et lui faisait un coucou de la main. Cette fille était exceptionnelle, elle avait un sourire si franc que ça donnait des frissons. Elle était si belle, et je ne savais pas quel était le secret de Blaine, mais j'allais lui demander ça c'est sur ! "Sa va, en manque de sucre comme tu peux voir, mais sa va. Et toi, il te manque des choses aussi ou quoi ?" En général je terminais sur une phrase où elle pouvait s'en sortir facilement, sans trop dire comment elle se portait. Mais avec un sourire franc, elle comprenait que je m'inquiétais de comment elle allait réellement. Je n'avais pas non plus eu le temps de lui annoncer le prénom que j'allais donner à mon fils. Je me rappelais également que je ne lui avait toujours pas dit que c'était un garçon. A vrai dire au début, je ne voulais pas savoir son sexe, mais comme je suis une femme assez impatiente, j'avais demandé au docteur au rendez vous suivant. "Au fait, j'ai une surprise à t'annoncer.." Je lui faisais un clin d'oeil, et j'espérais au fond de moi que ça la ferait sourire un minimum. Pour avoir passé tant de temps avec elle, je commençais à comprendre certaines de ses réactions.

Chaque jour de plus dans ma vie devenait un enfer. Je voulais que tout s’arrête et que je puisse goûter enfin au bonheur, au vrai. Mais malheureusement, ma vie n’était que perpétuel malheur. Mon deuil était devenu ma prison, mais aussi la cause d’une mort possible de ma part, si je continuais sur ce chemin. Winnie semblait l’avoir compris. Cette fille me ressemblait beaucoup, déjà physiquement, c’était marrant. J’avais l’impression d’avoir en face de moi un miroir. Mais non, ce n’était que Winnie. Elle vivait la même chose que moi, il y a deux ans. Enceinte de son premier enfant, un peu perdu, sans le père. Le simple fait de devoir se débrouiller seule faisait flipper toutes les jeunes mamans célibataires. Les hommes de Montsimpa n’étaient vraiment pas cool. L’avenir de ma fille était déjà tout tracé, le mien lui n’était qu’ambigu. J’étais incertaine, je ne savais pas ce que le futur me réservait. Je ne savais pas si j’allais m’en sortir. Après le temps du deuil, c’était aussi le temps de la réflexion. Savoir pourquoi, comment j’en étais arrivée ici. Tout ce que je savais, c’est que j’avais l’air d’être complètement perdue. « Elle va plutôt bien… Enfin je crois ! » disais-je, en me tournant furtivement vers ma fille. Oui, elle allait bien. J’aurai tellement aimé être comme elle, ne pas avoir de conscience. Rester dans l’innocence de l’enfance. Au moins, je n’aurai plus de soucis. Mais bien sûr, c’était impossible à réaliser. « Oui enfin, je suis venue faire le plein pour Bonnie surtout. Moi… C’est sans importance. » disais-je, presque gênée. Manger n’était plus devenu une habitude. Je grignotais parfois, par ci par là. Histoire de ne pas finir morte par famine. Mais mon estomac n’avait pas vraiment le goût de la nourriture en ce moment. Je ne ressentais même pas la faim. Bref, je tentais de cacher mon air perdu pour essayer d’obtenir ne serait-ce qu’un petit sourire forcé. « Ah ? Je t’écoute dis-moi ! » disais-je, avec un intérêt soudain. Si au moins elle pouvait me changer les idées c’était déjà ça de gagné.

J’avais l’impression d’être un zombie. Je ne savais même pas comment je faisais encore pour mettre un pied devant l’autre, alors que je me privais de pratiquement tout. Le deuil m’avait détruit autant moralement que physiquement. Perdre quelqu’un n’était jamais simple, perdre un être aimé l’était encore plus. Je devais me reconstruire absolument pour recommencer une nouvelle vie sans Dexter. C’était comme si je retournais à la case départ, seule comme toujours. Quelqu’un dans le deuil n’était jamais très bavard non plus. Je faisais un maximum pour éviter d’inquiéter les gens mais à vrai dire je n’étais pas tellement douée pour cela. Winnie l’avait d’ailleurs remarqué. Elle n’était pas la seule à me remonter les bretelles, à me secouer pour que ça aille mieux. Mais à vrai dire, mes neurones c’était du gruyère. J’avais du mal à regarder la vérité en face, malgré le fait que j’aille au cimetière tous les jours pour rendre visite à Dexter. Personne n’osait vraiment me dire « Dexter est mort, Blaine. Il ne reviendra pas ». Ils prenaient le risque de se faire courser, ou bien me voir m’évanouir ou pleurer toutes les larmes de mon corps. Comme si je n’avais pas assez pleuré il fallait que je continue pourtant. J’en avais assez de souffrir, j’en avais assez que la vie me fasse du mal comme ça alors qu’elle était un cadeau du ciel. Winnie ramenait tout à Bonnie, comme les autres. C’est vrai quel exemple je pouvais être pour ma fille. Heureusement qu’elle ne comprenait rien. J’étais loin d’être la mère modèle il y a quelques semaines. Là, je n’étais qu’une pauvre loque qui attendait un électrochoc. Ou qui attendait la mort, par simple choix. Si je continuais comme ça, c’était la caisse qui m’attendait je le savais. Peut-être que je me le cherchais un peu aussi. Je baissais la tête, comme une enfant dont on venait de réprimander. « Oui, heureusement que Bonnie est là. » disais-je, doucement. Si elle n’était pas là, je me serai probablement donné la mort à de nombreuses reprises. Elle était la raison qui me poussait encore à me battre, bien qu’en ce moment ce ne fût pas la joie. L’envie n’était plus là. Enfin pour parler de choses plus réjouissantes, je l’écoutais parler de son futur enfant. Elle aussi était toute seule, à croire que la mode des mères célibataires et des hommes salopards était de retour. Si je pouvais leur arracher leurs parties à chacun… Bref. Je me forçais à sourire, frottant doucement son bras pour la féliciter. « Je suis vraiment heureuse pour toi Winnie. Tu vas voir, un bébé ça change la vie bien plus que tu ne le penses. Regarde-moi. » Bonnie me sauvait la vie oui, et je n’avais pas honte de le dire. « Comment va s’appeler ton petit mec alors ? Bonnie aura au moins un copain pour jouer ! » disais-je, en me tournant vers ma fille qui mordait son doudou. La regarder était très reposant pour moi. Heureusement qu’elle était là.

Heureusement que la jeune femme était différente de moi. Beaucoup de personnes de mon entourage trouvaient qu’elle me ressemblait. Mais vraiment quoi. Tout ce qui m’importait à moi, c’était le fait qu’elle soit là. Elle avait toujours été là pour moi, à n’importe quel moment de la journée. Et même si son ventre lui faisait terriblement mal. Je ne trouvais pas d’autres moyens que de lui donner des conseils pour l’accouchement. J’avais même donné de vieux jouets de Bonnie afin qu’elle s’en serve pour son fils. C’est vrai, à y réfléchir j’avais le même parcours qu’elle. Mais chaque personne est unique, elle ne pouvait pas ressentir ce que j’éprouvais en cet instant. Je me sentais seule et désemparée, ne sachant pas si je pouvais surmonter ça. J’avais déjà tellement perdu ces dernières années. Si je venais à perdre ma fille, j’étais capable de bien pire encore. C’est pour cela d’ailleurs que je gardais la tête haute, même si je ressemblais à un zombie. Je me devais de me reprendre en main un jour ou l’autre, je ne pouvais pas rester comme ça éternellement. Mais je ne m’en sentais pas la force. La blessure était bien trop ouverte pour l’envisager. « Je sais. Mais quand tu t’imagines passer le restant de tes jours avec cette personne, et qu’on te l’arrache sans te demander ton avis… C’est injuste Winnie. Je ne mérite pas ça. » disais-je, en baissant la tête. Bref, ce n’était ni le lieu ni le moment pour me mettre à déprimer même si ce n’était pas l’envie qui m’en manquait. Mon amie me révélait appeler son fils Mathéo. Charmant prénom, peu commun aux Etats-Unis. Du moins, je n’en connaissais pas. Le futur ami de Bonnie arrivait bientôt, d’ailleurs. Elle devait être nerveuse. « C’est vrai. De toute façon, nous savons que les Fawkes et les Chesterfield sont faits pour s’entendre de toute manière. » disais-je, en tentant un sourire radieux. Sans succès. Je me laissais entraîner par la jeune femme dans les rayons. J’observais son ventre, qui me rappelait de nombreux souvenirs. « C’est prévu pour quand ? Tu dois être nerveuse ! » disais-je, intéressée.

M’en relèverai-je un jour ? Je n’en savais pas grand-chose. Tout ce que je pouvais continuer à croire, c’était en ma fille. Elle était le seul moteur de ma vie, celle qui continuait à me faire avancer malgré la douleur, la tristesse et la colère. Tant de sentiments qui se mélangeaient depuis la perte de Dexter. Je commençais peu à peu à réaliser que j’étais à nouveau seule dans ce manoir bien trop grand maintenant pour une femme et un bébé. J’étais consciente que ma vie s’apprêtait à prendre un nouveau tournant. Peut-être que déménager était la solution. Tout semblait brouillé dans ma tête. D’ailleurs, je commençais à partir un peu trop dans mes pensées. Non pas que la compagnie de Winnie ne me faisait pas du bien, mais en réalité j’avais besoin de rentrer chez moi pour me remettre les idées au clair. Puis passer au cimetière comme tous les jours. Voir Winnie qui semblait nager dans le bonheur, ne me donnait pas vraiment envie de rester à l’écouter. J’y étais passée, j’avais ressenti les mêmes choses. Mais aujourd’hui, ce n’était simplement pas le moment. Je souriais, en sentant la main de mon amie sur mon bras. « Tout se passera bien, tu verras. » disais-je, en me voulant rassurante. Un premier enfant, c’était le plus stressant. Un cap à passer. « Je… Je crois que je vais rentrer. Et me poser, ça me… fera du bien certainement. » disais-je, un peu évasive. J’embrassais mon amie sur les deux joues. « On se voit plus tard hein ? Tiens-moi au courant. » disais-je, en m’éloignant. Il me restait plus qu’à payer mes courses à sortir du supermarché, en pleurant comme d’habitude. Chose confirmée. Vingt minutes plus tard, je rentrais chez moi, pleurant à chaudes larmes contre ma fille Bonnie qui elle, ne comprenait pas ce qu’il lui arrivait.